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Article 10

 

Continuité de résidence

1. Lorsqu'un réfugié a été déporté au cours de la deuxième guerre mondiale et transporté sur le territoire de l'un des Etats contractants et y réside, la durée de ce séjour forcé comptera comme résidence régulière sur ce territoire.

2. Lorsqu'un réfugié a été déporté du territoire d'un Etat contractant au cours de la deuxième guerre mondiale et y est retourné avant l'entrée en vigueur de cette Convention pour y établir sa résidence, la période qui précède et celle qui suit cette déportation seront considérées, à toutes les fins pour lesquelles une résidence ininterrompue est nécessaire, comme ne constituant qu'une seule période ininterrompue.

Commentaire

Auteur : Abdou Diop, doctorant, CRDEI, Université de Bordeaux
Date de publication : Mars 2016

En principe, le droit n’a pas vocation à corriger ou à refaire l’histoire. Tout au plus, ayant une vocation pédagogique, il peut tirer des enseignements sur un fait historique de nature à en prévenir la répétition1. C’est sur cette base qu’a été adoptée la Charte des Nations Unies afin de « préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances »2. C’est aussi sur cette base que l’article 49 § 1 de la Convention de Genève relative à la protection des civils en temps de guerre du 12 août 1949 interdit « les transferts forcés en masse ou individuels », tirant la leçon des souffrances liées aux déportations forcées lors de la Seconde Guerre mondiale. Il peut arriver, toutefois, que le droit revienne sur un fait historique, non pas pour en tirer des enseignements, mais pour en régir les conséquences. C’est l’objet de l’article 10 de la Convention de Genève sur le droit des réfugiés3.
La 2e Guerre mondiale a été marquée par des millions de déportations forcées par les puissances de l’Axe, soit en Allemagne, soit vers les territoires occupés par les forces nazies4. Or, la jouissance d’un certain nombre de droits lié à la qualité de réfugiés est conditionnée par une exigence de résidence régulière et continue. Il en résulte, ainsi, une « équation historique » dans la mesure où une catégorie particulière de personnes déportées de force durant la Seconde Guerre mondiale se trouverait « injustement » privée des droits conditionnés par l’exigence de résidence régulière. Cet état de fait a interpellé les auteurs de la Convention de Genève afin d’introduire une disposition « corrective » de l’histoire. C’est ainsi que l’article 10 de ladite Convention a été adopté sans réserve5 et constitue, à n’en point douter, une disposition à valeur historique (I). On pourrait, toutefois, s’interroger sur sa pertinence actuelle (II).


I.    L’article 10 : une valeur historique certaine.


L’article 10 ne s’applique pas à toutes les situations où il y a eu déportation forcée. Il se limite à un fait historique précis et concerne les déportations forcées commises par les puissances de l’Axe durant la Seconde Guerre mondiale. Donc, il est conditionné ratione temporis et se réfère à un fait historique inédit. Les rédacteurs ont ainsi pris en compte cette situation doublement.
D’une part, le paragraphe 1 de l’article 10 se réfère à la situation d’un réfugié déporté au cours de la 2e Guerre mondiale et transporté sur le territoire d’un État contractant et qui souhaite résider sur ce territoire. Étant donné que le séjour du réfugié en question n’a pas été « autorisé » par l’État d’accueil, cette absence de résidence régulière le priverait de la pleine jouissance d’un certain nombre de droits lié à la qualité de réfugié. Conscients de cette situation, de surcroit injuste dans la mesure où l’acte est forcé et involontaire, les auteurs de la Convention ont voulu transformer cette « résidence de facto » à une « résidence de jure »6. C’est ainsi qu’ils stipulent que « la durée de ce séjour forcé comptera comme résidence régulière sur ce territoire ». Toutefois, la convention reste silencieuse sur la durée du séjour forcé. Néanmoins, elle ne renvoie certainement pas à la notion de résidence telle que connue dans le sens anglo-saxon, ni à un simple passage sur le territoire de l’État d’accueil. Ce qui est sûr, c’est que la présence de la personne sur le territoire de l’État doit pouvoir être déterminée selon un certain temps.
D’autre part, le paragraphe 2 de l’article 10 prend en compte la situation du réfugié déporté du territoire d’un État contractant et qui y retourne avant l’entrée en vigueur de la Convention. En effet, certaines personnes ont été déportées de leur État de résidence durant la guerre et ont décidé d’y retourner à la fin des hostilités. Considérant qu’une résidence ininterrompue est dans certains cas exigée pour la pleine jouissance des droits liés à la qualité de réfugiés, « la période qui précède et celle qui suit cette déportation seront, donc, considérées comme ne constituant qu’une seule période ininterrompue ». Ce faisant, l’État de départ doit considérer la période d’avant et d’après la déportation comme étant une seule et même période. La seule limite est que le retour doit être effectué avant l’entrée en vigueur de la Convention de 1951, c'est-à-dire le 22 avril 1954. Cette limite ratione temporis a été introduite sur proposition de la Yougoslavie, lors de la Conférence des plénipotentiaires et a été acceptée à l’unanimité7.
L’article 10 prend ainsi en compte deux situations inédites consécutives aux déportations de masse connues lors de la Seconde Guerre mondiale, ce qui en fait une disposition transitoire8 dont on peut encore s’interroger sur sa pertinence actuelle.


II.    L’article 10 : quelle pertinence actuelle ?


Il est clairement établi que l’article 10 vise une situation historique particulière, qui remonte à plus d’un demi-siècle en arrière. Sans aucun doute, les situations visées par cette disposition ne sont plus d’actualité, ce qui la rend surannée. Toutefois, elle conserve une double pertinence qui en revitalise la portée.
D’une part, l’article 10 peut servir à déterminer la période de résidence régulière requise pour bénéficier d’un certain nombre de droits au-delà de la situation particulière des déportés durant la 2e guerre mondiale. En effet, la jouissance d’un certain nombre de droits (comme la naturalisation au regard du droit interne) requiert cette exigence de résidence régulière. Ainsi, lorsque le problème de la détermination de cette période se pose, l’article 10 peut être un repère. À cet effet, ce qu’il convient de prendre en compte ce n’est pas le temps passé par le réfugié en dehors de son État d’origine, mais seulement la période couverte par sa présence dans l’État dans lequel il invoque des droits9. Ce faisant, la période qui couvre le passage dans un État intermédiaire n’est pas pertinente. Toutefois, la situation particulière du réfugié devra être prise en compte notamment lorsqu’il a eu à faire face à une interruption de résidence forcée. Dans ce cas, dans l’esprit de l’article 10, l’État concerné devra considérer la période de résidence comme ininterrompue.
D’autre part, l’article 10 permet de donner une autre orientation à l’invocabilité des droits liés au statut de réfugié. Il est en effet clair qu’au regard du libellé de l’article 10, la pleine jouissance des droits est définie au regard de circonstances pratiques et non pas au regard d’un statut prédéfini à l’avance. Autrement dit, la qualité de réfugié, étant certes une qualification juridique, repose sur une situation de fait assez particulière10. Cette approche casuistique devra être prise en compte par les États lorsqu’ils transposent la convention dans leur droit interne. Ceci dit, les États ne peuvent se fonder sur des qualifications de droit interne préétablies pour refuser la pleine jouissance des droits liés au statut de réfugié. Les situations doivent être évaluées au cas par cas en tenant compte des circonstances particulières et des situations des uns et des autres, notamment pour apprécier l’exigence de résidence régulière et continue.

1 Voir à ce propos, DELBEZ L., Les principes généraux du droit international public : droit de la paix, droit préventif, droit de la guerre, LGDJ, 3e édition, Paris, 1964, 666 p.

2 Préambule de la Charte des Nations Unies adoptée le 26 juin 1945 à San Francisco et entrée en vigueur le 24 octobre de la même année.

3  C’est aussi l’objet de l’article 10 de la Convention relative au statut des apatrides du 28 septembre 1954 (entrée en vigueur le 6 juin 1960) qui reprend mot pour mot les mêmes termes du présent article à étudier.

4 Pour mémoire, voir TRIEBEL A., Raconte-moi la déportation dans les camps nazis, Ed. Nouvelle arche de Noé, Paris, 2005, 46p.

5 Voir le Statut des traités multilatéraux déposés au Secrétariat général des Nations Unies, disponible sur http://www.un.org/french/millenaire/law/conventions.htm.

6 SCHMAIL S., « Article 10: continuity of residence », in ZIMMERMANN, Andreas (dir.), The 1951 Convention Relating to the Status of Refugees and its 1967 Protocol: a commentary, Oxford, New York, Oxford University Press, Collection Oxford commentaries on international law, 2011, p. 806.

7 UN Doc. A/CONF.2/24 (1951).

8 SCHMAIL S., op. cit., p. 813.

9 Voir l’analyse de HATHAWAY J. C., The rights of refugees under international law, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 2005, p.191.

10 Voir la définition qu’en donne la Convention en son article 1er.


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