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Article 11

Gens de mer réfugiés

Dans le cas de réfugiés régulièrement employés comme membres de l'équipage à bord d'un navire battant pavillon d'un Etat contractant, cet Etat examinera avec bienveillance la possibilité d'autoriser lesdits réfugiés à s'établir sur son territoire et de leur délivrer des titres de voyage ou de les admettre à titre temporaire sur son territoire, afin, notamment, de faciliter leur établissement dans un autre pays.

Commentaire

Auteur : Sandrine Sana Chaillé-de-Néré, Professeur, CRDEI, Université de Bordeaux
Date de publication : Mars 2016

L’article 11 de la Convention de Genève évoque une situation très précise – celle des réfugiés légalement employés à bord de navires – qui ne semble plus correspondre aux problématiques contemporaines des migrations « de désespoir » par voie maritime. La question des réfugiés présents à bord de navires de la marine marchande n’est en effet plus, aujourd’hui, celle de personnes qui y sont « régulièrement employées » mais celle de migrants qui ont été recueillis à bord de ces navires après qu’ils ont été trouvés en situation de détresse sur des embarcations de fortune.

L’article 11 ne peut donc se comprendre que dans une perspective historique. Après la Seconde Guerre mondiale, il était fréquent que l’équipage des navires de commerce se compose de personnes directement recrutées dans des camps de réfugiés des pays du pourtour oriental de la Méditerranée. Ces personnes, légalement employées à bord, étaient cependant dépourvues de tout document de voyage, parfois même de tout document d’identité. Ceci les plaçait dans une grave situation d’inconfort puisqu’elles se trouvaient alors dans l’impossibilité de quitter les navires, n’ayant aucun accès légal au territoire des Etats d’escale. Il va sans dire que, par ce fait même, elles étaient exposées à des conditions de travail et de vie à bord extrêmement mauvaises et la précarité de leur situation juridique les rendait totalement vulnérables. L’impossibilité matérielle de faire valoir aucun droit les exposait ainsi à des risques d’exploitation bien plus élevés que ceux subis par les autres marins. Peu de pays se sont, à l’époque, émus de cette situation, à l’exception de la Norvège qui a accepté d’accueillir un nombre important de réfugiés embarqués dans ces conditions sur des navires de commerce. C’est ce même pays qui saisit l’occasion des négociations relatives à la Convention de Genève pour alerter plus fermement sur la situation particulière de ces réfugiés, devenus gens de mers à bon compte pour les armateurs1. La Norvège n’a guère obtenu, initialement, que le soutien de la France et elle s’est exposée, au contraire, aux réticences de la plupart des pays engagés dans les négociations. Mais elle finit par faire admettre qu’une responsabilité particulière pèse, à cet égard, sur les pays dont les navires qui emploient ces réfugiés portent les couleurs. C’est ainsi que l’article 11 est adopté et qu’il invite les Etats concernés à examiner avec bienveillance la possibilité d’autoriser lesdits réfugiés à s’établir sur leur territoire, et à leur délivrer des titres de voyage. Si l’article semble n’exprimer qu’une simple recommandation en usant de la formule « examiner avec bienveillance », il impose en réalité une obligation à la charge de l’Etat du pavillon qui ne peut, en cas de refus d’octroi de documents de voyage ou en cas de refus d’accès à son territoire, se contenter de justifier son refus par un motif d’ordre général. Il ne pourra le faire qu’en se fondant sur des circonstances particulières. Si, bien-sûr, cet engagement des Etats parties à la Convention de Genève ne résout pas le problème de l’accès effectif de ces réfugiés, confinés à bord des navires, à la justice et à la possibilité réelle de soumettre leur demande, il n’est pas un engagement dépourvu de sens dans la mesure où, à l’époque, le lien entre les Etats et les navires portant leur pavillon était un lien substantiel impliquant une réelle responsabilité des Etats à l’égard des conditions de vie et de travail à bord de leurs navires. Mais le développement massif des pavillons de complaisance a très largement rompu ce lien et il est évident qu’une telle obligation n’a plus aujourd’hui aucune pertinence pour la plupart des Etats dont les navires battent pavillon. La question d’une certaine « caducité » de l’article 11 se pose donc et ce, d’autant plus que, au-delà du changement de perspective qu’impose les pavillons de complaisance, les réfugiés concernés, en ce début de 21ème siècle, par l’activité maritime ne sont plus ceux qui se trouvent « régulièrement employés comme membre de l’équipage à bord d’un navire ».

Les réfugiés d’aujourd’hui qui se trouvent à bord des navires sont, dans l’immense majorité des cas, des personnes qui ont fui leur pays par voie de mer, usant d’embarcations inaptes à leur assurer la moindre sécurité. Les réfugiés embarqués sur des navires de commerce ne s’y trouvent donc pas pour exercer une quelconque activité professionnelle mais parce qu’ils ont été sauvés d’une situation de danger imminent. La problématique contemporaine des réfugiés en mer est donc celle de l’obligation qui pèse sur les capitaines de navire de commerce de porter assistance à toute personne en danger de se perdre et des conséquences qu’implique, pour ces mêmes capitaines et pour l’expédition maritime dont ils sont responsables, le respect de cette obligation.

On sait en effet que le fait d’accueillir à son bord un naufragé est toujours, pour un capitaine, une source de complications puisqu’il va devoir se dérouter soit pour porter secours, soit pour débarquer la personne secourue. Ce contre temps peut être lourd de conséquences économiques pour l’ensemble des acteurs de l’expédition maritime. Mais lorsque, de surcroit, les personnes secourues sont des réfugiés, leur sauvetage plonge le capitaine du navire dans le problème de l’immigration clandestine, et il doit alors tenir compte de la réaction des Etats côtiers vis-à-vis de l’accueil des personnes secourues. Il s’expose ainsi aux questions du refoulement éventuel de ces personnes, à la possibilité pour elles de déposer des demandes d’asile, aux risques qu’elles encourent si le débarquement se fait sur le territoire d’un Etat qui ne leur assure pas la protection à laquelle elles ont droit, voire les exposent à des risques de persécutions. Certains capitaines de navire, accomplissant pourtant simplement leur devoir de porter secours, ont ainsi été exposés aux pires difficultés à faire débarquer les migrants secourus2, et ont subi, parfois, de graves ennuis judiciaires3. Dans ces conditions, il est évident que l’effectivité de l’obligation de porter secours à toute personne en danger de se perdre en mer, pourtant formellement énoncée par les instruments internationaux4, est mise en cause. Les organisations internationales en charge du secteur maritime5 en ont d’ailleurs pleine conscience et elles ont compris que la seule façon de donner corps à l’obligation de porter secours était de faire en sorte que le capitaine de navire soit soulagé le plus rapidement possible de la responsabilité que représente pour lui l’accueil à son bord de réfugiés naufragés. C’est ainsi que les conventions SOLAS6(Safety of Life at Sea)  et SAR (Search and Rescue)7, à travers les amendements qui y ont été apportés pour améliorer la sauvegarde de la vie en mer, notamment à l’égard des migrants, exigent des Etats contractants qu’ils se concertent et coopèrent afin que les capitaines de navire prêtant leur assistance en accueillant à leur bord des personnes en situation de détresse soient relevés de leurs obligations le plus rapidement possible avec une déviation minimale du navire par rapport au parcours initialement prévu8. Cette coopération doit permettre aux Etats d’organiser un débarquement dans des délais aussi rapides que possible. Ces dispositions s’accompagnent de l’obligation, pour l’Etat concerné par la zone du naufrage, de fournir un lieu sûr pour le débarquement des naufragés, un lieu sûr étant entendu comme un lieu où la vie et la sécurité des survivants n’est plus menacée, et où l’on peut subvenir à leurs besoins fondamentaux. Il est précisé, ce qui est extrêmement important pour le capitaine du navire assistant, que les opérations telles que le filtrage et l’évaluation du statut des personnes secourues ne doivent pas gêner la prestation d’assistance ou retarder indûment le débarquement9. Ce sont donc clairement ici les intérêts cargaisons qui sont pris en considération, ce qui est tout à fait essentiel pour que l’obligation de porter secours aux migrants naufragés ne reste pas un vœu pieux10.
On le voit, l’article 11 a donc perdu une grande part de sa raison d’être et il ne constitue plus, aujourd’hui, le socle sur lequel s’appuyer pour imposer aux Etats un comportement adapté à la situation des réfugiés accueillis à bord des navires de commerce.

1 ZIMMERMANN, A. (dir.), The 1951 Convention Relating to the Status of Refugees and its 1967 Protocol: a commentary, Oxford, New York, Oxford University Press, Collection Oxford commentaries on international law, 2011, pp. 853-860.

2 Voir, par exemple, BARSALOU, O., « L’interception des réfugiés en mer : un régime juridique aux confins de la normativité », Lex electronica, vol. 12, n°3 (Hiver 2008), consultable sur http://www.lex-electronica.org/articles/v12-3/barsalou.pdf

3 Les exemples sont très nombreux. Voir, entre autres, l’affaire des marins tunisiens qui a donné lieu, devant les juridictions italiennes, à la décision controversée du Tribunal d’Agrigente le 1er septembre 2007 condamnant le capitaine du navire assistant à une peine de trois ans et demi d’emprisonnement, à la confiscation du navire et à une amende de 440 000 euros. Cette décision a été annulée par la Cour d’appel de Palerme le 21 septembre 2011.

4 En particulier, la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer du 10 décembre 1982, article 98 : « Tout État doit exiger du capitaine d'un navire battant son pavillon que, pour autant que cela lui est possible sans faire courir de risques graves au navire, à l'équipage ou aux passagers : a) il prête assistance à quiconque est trouvé en péril en mer; b) il se porte aussi vite que possible au secours des personnes en détresse s’il est informé qu’elles ont besoin d’assistance, dans la mesure où l'on peut raisonnablement attendre qu’il agisse de la sorte ».

5 L’organisation maritime internationale est ici en première ligne et elle s’est engagée, sur ces questions, dans une démarche commune avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.

6 Convention SOLAS du 1er novembre 1974.

7 Convention SAR du 27 avril 1979.

8 Amendement SOLAS : Règle 33 et Amendement SAR : Chapitre 3.1.9.

9 Amendements précités.

10 En ce sens, voir SANA-CHAILLE DE NERE, S., Les contours juridiques de l’assistance maritime aux réfugiés, Colloque Université de Bordeaux, La coopération en droit des réfugiés, TOURNEPICHE A.-M. (dir.), 17 mars 2014.


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  • Statut et protection internationale de réfugiés
  • The status of refugees in international law : Asylum, entry and sojourn
  • Convention relating to the status of refugees : its history, contents and interpretation : a commentary

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