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Article 12

Statut personnel

1. Le statut personnel de tout réfugié sera régi par la loi du pays de son domicile ou, à défaut de domicile, par la loi du pays de sa résidence.

2. Les droits, précédemment acquis par le réfugié et découlant du statut personnel, et notamment ceux qui résultent du mariage, seront respectés par tout Etat contractant, sous réserve, le cas échéant, de l'accomplissement des formalités prévues par la législation dudit Etat, étant entendu, toutefois, que le droit en cause doit être de ceux qui auraient été reconnus par la législation dudit Etat si l'intéressé n'était devenu un réfugié.

Commentaire

Auteur : Gaëtan Escudey, doctorant, CRDEI, Université de Bordeaux
Date de publication : Mars 2016

Si le lien entre droit international privé et droit des réfugiés peut sembler ténu, ces deux matières ont pour point commun de réglementer les effets d’un franchissement de frontière sur l’individu1. Il n’est alors pas surprenant de voir consacrer à l’article 12 de la Convention du 28 juillet 1951 une disposition relative au statut personnel du réfugié. Un rappel historique témoigne d’ailleurs de l’étroitesse de ce lien. En effet, la bilatéralisation du rattachement du statut personnel à la loi nationale par l’arrêt de la Cour de Paris du 30 juin 1814 concernait un « réfugié avant la lettre »2, Bertrand Busqueta3. Les juges ont ainsi souligné l’inconvénient pour l’intéressé – qui « prenait la fuite d’un apostat sur un sol étranger pour se soustraire aux peines que lui attireraient ses déportements » – de rester « perpétuellement enchainé par les lois de son pays, et demeurer constamment inhabile à contracter mariage ». Or, ces considérations sont identiques à celles qui ont animé les rédacteurs de l’article que nous nous proposons de commenter.
Si la Convention, comme le rappelle son préambule, vise à assurer le respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, le recours au droit des étrangers, et plus largement au droit international privé, était d’autant plus nécessaire à une époque où aucun mécanisme effectif de protection internationale des droits l’Homme n’existait encore4. Toutefois, le statut particulier du réfugié et la protection concomitamment due à celui-ci semblent avoir façonné les règles de droit international privé contenues dans cet article selon une logique différente de celle en vigueur à l’époque. En effet, l’analyse de cet article met en exergue le caractère pour le moins avant-gardiste des règles de droit international privé qu’il contient.
Ainsi, le premier paragraphe de cette disposition conventionnelle est marqué par la volonté de soumettre le statut personnel du réfugié à la loi de son domicile ou, à titre subsidiaire, de sa résidence, en le détachant de sa loi nationale. Il manifeste donc la substitution d’un lien sociologique horizontal d’appartenance à une communauté étatique à un lien vertical d’allégeance politique et de soumission à l’Etat national, permettant l’intégration du réfugié dans son Etat d’accueil (I). Le second paragraphe quant à lui, et malgré une formulation quelque peu équivoque, met en exergue les exigences de continuité des situations juridiques internationales et de stabilité du statut personnel par une manifestation de la théorie des droits acquis (II).


I. La loi applicable au statut personnel des réfugiés

La soumission du statut personnel du réfugié à la loi du pays dans lequel celui-ci a établi son domicile ou sa résidence par la règle de conflit contenue dans l’article 12 de la Convention (A)  ne va pas sans poser quelques problèmes d’interprétation (B).

A. Principe

La formulation de l’article 12 de la présente Convention est identique à celle de l’article 12 de la Convention de New-York du 28 septembre 1954 relatif au statut personnel des apatrides. Si en matière d’apatridie, le rattachement à la loi nationale n’aurait aucun sens en ce qu’un individu apatride ne possède, par définition, pas de nationalité, un tel rattachement en matière de réfugié semble tout aussi peu pertinent. En effet, un réfugié ne devrait pas être soumis, pour les questions relatives à son statut personnel, à la loi de l’Etat de nationalité qui a fait de lui un réfugié. La qualité de réfugié postule la rupture de celui-ci avec son Etat d’origine. Un tel constat ressort tant de la définition même du réfugié – une personne qui craint avec raison d’être persécutée, dans son Etat de nationalité, pour des motifs tenant à la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un certain groupe social ou à ses opinions politiques – qu’à l’objectif de cette Convention – instaurer une protection juridique de substitution visant à pallier la carence de la protection diplomatique de l’Etat de nationalité du réfugié.
L’absence de pertinence du rattachement du statut personnel du réfugié à sa loi nationale supposait donc de se tourner vers un rattachement territorial. C’est ce qu’ont fait les rédacteurs de la Convention en prévoyant la compétence de la loi du pays du domicile ou de la résidence du réfugié. Un tel rattachement avait d’ailleurs déjà été adopté par la Convention sur le statut juridique des réfugiés russes et arméniens du 30 juin 1928 et par la Convention du 28 octobre 1933 relative au statut international des réfugiés. Si ce rattachement correspond à celui existant dans les pays de Common-Law, il constitue une rupture par rapport au rattachement traditionnel à la loi nationale en vigueur dans de nombreux pays de droit civil. Pourtant, la légitimité de l’exclusion de la compétence de la loi nationale a été si forte que seuls cinq Etats sur les cent quarante-cinq Etats parties à la Convention y ont formulé une réserve5.
L’admission quasi-unanime de ce rattachement peut s’expliquer par la nature particulière de la règle de conflit de lois. En effet, il ne s’agit pas tant de remplacer un rattachement par un autre, en considération des avantages et inconvénients respectifs de la loi nationale et de la loi du domicile, que de consacrer avant l’heure une sorte de clause d’exception. Ainsi, la loi nationale n’est pas applicable au statut personnel du réfugié pour la simple et bonne raison que celui-ci n’entretient désormais, pour des motifs évidents, qu’un lien très faible avec l’Etat dont le droit est désigné. Le principe de proximité, principe cardinal du droit international privé6, impose alors de rattacher son statut personnel à la loi de l’Etat d’accueil, c’est-à-dire à la loi de l’Etat dans lequel le réfugié a établi son domicile ou sa résidence.
Ce rattachement présente un double avantage. D’une part, il favorise l’intégration du réfugié dans l’Etat d’accueil et permet de mettre en œuvre l’une des trois solutions durables à la situation des réfugiés que sont le rapatriement librement consenti, l’intégration sur place ou la réinstallation. D’autre part, il permet de lier compétence juridictionnelle et compétence législative en ce que le juge du for appliquera sa propre loi au statut personnel du réfugié sans considération de sa loi d’origine dont on sait à quel point la détermination et l’application peuvent s’avérer délicates. Si l’adoption d’un tel rattachement est donc grandement justifiée, l’interprétation de cette règle de conflit n’est toutefois pas dénuée de toute ambiguïté.


B. Limites

Tout d’abord, l’article 12 ne donne pas de définition du statut personnel alors même que les conceptions nationales sont divergentes en la matière. Ainsi, pour ne donner qu’un seul exemple, les régimes matrimoniaux et les successions ne font pas parties du statut personnel en droit international privé français alors qu’ils y sont intégrés dans une grande majorité d’Etats. En l’absence d’interprétation autonome et uniforme de cette catégorie de rattachement, les Etats devront alors procéder à une qualification lege fori. Un tel procédé n’est toutefois pas si critiquable au regard de l’application quasi-généralisée de la lex fori au statut personnel du réfugié.
De même, faute pour les rédacteurs d’avoir pu s’entendre sur une définition consensuelle, la Convention, à l’instar de nombreuses autres Conventions utilisant cette notion, ne définit pas ce qu’elle entend par domicile ou résidence. Il semble que la distinction fondamentale entre ces deux notions réside dans la présence d’un élément intentionnel. En effet, le domicile nécessite un élément matériel – la présence stable et effective de l’intéressé sur le territoire – ainsi qu’un élément intentionnel – l’intention d’en faire le centre de ses intérêts et d’y séjourner durablement – alors que la résidence ne nécessite pas d’élément intentionnel7. La notion de domicile est alors plus restrictive que celle de résidence puisque celui-ci est souvent analysé comme le domicile d’origine attribué à la naissance et dont la modification nécessite de prouver l’établissement prolongé dans un autre lieu mais aussi et surtout la perte de l’esprit de retour8. Or, de telles exigences peuvent s’avérer problématiques dans le cas des réfugiés. En effet, tous les réfugiés n’ont pas perdu définitivement leur esprit de retour et n’ont pas l’intention de s’établir définitivement dans l’Etat d’accueil. Il s’agit notamment des migrants écologiques ou climatiques qui sont obligés de se déplacer de façon temporaire à cause de la dégradation manifeste des conditions environnementales de leur pays d’origine. Une interprétation de la notion de domicile par présomption serait alors à privilégier de sorte que la demande et l'obtention du statut de réfugié présume l'intention d'établir son domicile dans le pays d'asile.
Afin de contourner les difficultés d’interprétation de la notion domicile, les rédacteurs de la Convention ont prévu un rattachement subsidiaire à la loi du pays de résidence du réfugié. Cette règle de conflit en cascade présente donc une coloration matérielle en ce qu’elle tend à protéger le réfugié. La protection se manifestant ici par l’exclusion de la loi nationale généralement compétente en matière de statut personnel. Cette volonté est d’ailleurs confirmée par l’absence de qualificatif apposé à la notion de résidence. En effet, si la Convention emploie les termes de « résidence régulière » ou de « résidence habituelle » dans certains articles, elle se contente d’une simple résidence dans celui-ci. Cela laisse supposer que la seule présence de l’individu sur l’Etat d’accueil, voire dans un centre de transit, justifierait l’application de cette loi à son statut personnel.
Enfin, le premier paragraphe de l’article 12 fait l’objet d’interprétations divergentes quant à la nature même de la règle de conflit : a-t-elle vocation à supplanter les règles de conflit du for concernant les matières relevant du statut personnel du réfugié ou n’a-t-elle, plus modestement, pour objectif que de remplacer le rattachement à la loi nationale par celui du domicile ou de la résidence du réfugié au sein des règles de conflit du for ? Le caractère exclusif de la règle de conflit contenue dans cet article – que laisse entendre sa formulation impérative9 – aurait pour conséquence de priver le réfugié des rattachements alternatifs potentiellement à sa disposition, et ce notamment lorsqu’une option de législation lui est ouverte. Ainsi, à titre d’exemple, si le réfugié résidant en France souhaite divorcer, celui-ci ne pourra pas bénéficier de l’option de législation prévue par le Règlement Rome III sur la loi applicable au divorce et à la séparation de corps du 20 décembre 2010 et verra son divorce automatiquement soumis à la loi française. Il semble alors qu’il faille interpréter cette règle de conflit de manière non exclusive en application du principe du traitement le plus favorable contenu à l’article 7 de la Convention.
Le statut personnel du réfugié étant désormais soumis à la loi du pays dans lequel celui-ci a établi son domicile ou sa résidence, les rédacteurs de la Convention ont pris soin d’éviter les situations boiteuses que pourrait engendrer la modification du facteur de rattachement en imposant aux Etats contractants de respecter les droits précédemment acquis par le réfugié.


II.    Le respect des droits acquis par les réfugiés

L’obligation de respect des droits précédemment acquis par le réfugié contenue dans le deuxième paragraphe de l’article 12 (A) est soumise à deux limites (B).

A.    Principe

Cette disposition vise, si l’on s’en tient à la lettre du texte, la conservation des droits précédemment acquis par le réfugié. La théorie des droits acquis trouve ses racines dans les doctrines statutaires de l’école hollandaise du XVIIème siècle et est conçue comme un corollaire au principe de territorialité des lois fondé sur le principe de la courtoisie internationale. Elle a été formulée au début du XXème siècle par Antoine Pillet selon lequel « toutes les fois qu’un droit a été régulièrement acquis dans un pays quelconque, ce droit doit être respecté et les effets qu’il produit doivent lui être garantis dans un autre pays »10 . Cette théorie a cependant été abondamment critiquée puisque, comme l'avait relevé Savigny en opposition aux théories de l'école hollandaise, « pour reconnaitre si des droits sont bien acquis, il faut savoir d’après quel droit local nous devons juger de leur acquisition »11. Il est alors étonnant de la voir consacrer dans une Convention internationale.
Mais à y regarder de plus près, il semble que les rédacteurs de la Convention ne se sont pas véritablement inspirés de cette théorie. En effet, ce paragraphe concerne uniquement la conservation des droits acquis par le réfugié selon la loi anciennement compétente en matière de statut personnel et notamment en ce qui concerne le mariage. L’un des objectifs est ainsi de permettre à un réfugié marié selon les dispositions de sa loi nationale compétente à l’époque de la conclusion dudit mariage de ne pas voir celui-ci annulé au motif qu’il n’est pas valable selon la loi, de son domicile ou de sa résidence, désormais compétente. Cet article a pour but « de prendre en compte le facteur temps pour stabiliser quelque peu la mobilité dans l'espace »12. Dès lors, l’obligation qui pèse sur les Etats n’est pas simplement d’éviter de contrevenir aux effets juridiques du statut antérieurement acquis par le réfugié mais de continuer à appliquer la loi d’origine à ces effets et, partant, de respecter son identité culturelle. Il ne s’agit donc pas tant d’une application de la théorie des droits acquis que de celle du conflit mobile.
En effet, un conflit mobile est un « conflit de lois dans le temps provoqué par le déplacement dans l’espace du facteur de rattachement qui a pour conséquence de rendre applicable une nouvelle loi par rapport à celle qui résultait de l’ancienne situation »13. Or, la modification du rattachement applicable au statut personnel instaurée par l’article 12 de la Convention a pour conséquence de soustraire le statut personnel du réfugié à la loi nationale d’origine pour le soumettre à loi du domicile ou de la résidence du pays d’accueil. La résolution du conflit mobile se fait par les mêmes mécanismes que ceux applicables en matière de conflit de lois dans le temps : la non rétroactivité et l’effet immédiat de la loi nouvelle. Un simple rappel de ces principes, en vigueur dans la quasi-totalité des ordres juridiques nationaux, aurait alors sans doute suffit à atteindre l’objectif poursuivi par ce paragraphe. La survie de loi ancienne est toutefois subordonnée à certaines conditions, plus ou moins explicites, prévues par la seconde partie de ce paragraphe.


B. Limites


La conservation des droits antérieurement acquis par le réfugié, c’est-a-dire la non rétroactivité de loi du domicile ou de la résidence de l’Etat d’accueil désormais compétente, est subordonnée au respect de deux conditions cumulatives : une condition formelle et une condition matérielle. La première condition impose l’accomplissement, par le réfugié, des formalités prévues par la législation de l’Etat d’asile. Elle vise donc à assurer la protection des tiers. Il en va ainsi, par exemple, de l’obligation de transcription du mariage sur les registres de l’état civil de l’Etat d’accueil afin que celui-ci soit opposable aux tiers. La seconde condition est toutefois plus équivoque puisqu’elle limite la reconnaissance du droit antérieurement acquis par le réfugié au fait que ce droit soit « de ceux qui auraient été reconnus par la législation dudit État si l'intéressé n'était devenu un réfugié ».  Cette seconde condition vise donc à ne pas reconnaître davantage de droits aux réfugiés qu’aux étrangers et semble s'apparenter à une autre notion clé du droit international privé : l'exception d'ordre public. Bien que formulée différemment, cette condition tend à permettre à l’Etat d’accueil de ne pas reconnaître un droit acquis par un réfugié si ce droit est contraire à son ordre public international. Il va ainsi, par exemple, en France, d’un mariage polygamique ou incestueux.


Conclusion

La combinaison de l’incertitude du caractère exclusif de la règle de conflit prévue au premier paragraphe de l’article 12 avec la volonté de respecter l’identité culturelle du réfugié en conservant les droits précédemment acquis par celui-ci pourrait peut-être se concrétiser par l’ouverture d’une option de législation en matière de statut personnel du réfugié. Ce dernier devrait alors pouvoir, dans les cas où le for reconnaît une telle option et à condition que la loi désignée ne soit pas contraire à son ordre public, choisir entre sa loi nationale ou la loi du pays dans lequel il a désormais sa résidence. Cette règle de conflit présenterait l’avantage de ramener au rang de présomption référable la perte de l’esprit de retour du réfugié en prenant en compte la diversité des situations personnelles des réfugiés.

1 CHETAIL V., « Les relations entre droit international privé et droit international des réfugiés : histoire d'une brève rencontre », Journal du Droit international (Clunet), avril 2014, doctr. 4.

2 CARLIER J.-Y., « Droit d’asile et des réfugiés : de la protection aux droits », RCADI, Vol. 332, 2007, p. 305.

3 Cour de Paris, 13 juin 1814, Busqueta ; LEQUETTE Y. et ANCEL B., Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé, Paris, Dalloz, 2006, n°1.

4 La déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948 n’ayant aucune force juridique contraignante et le pacte international relatif aux droits civils et politiques n’ayant été adopté que le 16 décembre 1966.

5 Botswana, Egypte, Espagne, Suède et Israël.

6 V. notamment LAGARDE P., « Le principe de proximité dans le droit international privé contemporain », RCADI, vol. 196, 1986.

7 La Cour de cassation a toutefois procéder à une confusion entre ces deux notions dans son arrêt du 14 décembre 2005 dans lequel elle a défini, sans poser de question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne, la notion de résidence au sens du Règlement Bruxelles II bis comme « le lieu où l’intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts ».

8 V. FADALLAH I., « Statut personnel », Répertoire de droit international, Dalloz, 2003.

9 « Le statut personnel de tout réfugié sera régi par… ».

10 PILLET A., « La théorie générale des droits acquis », RCADI, vol. 8, 1925.

11 SAVIGNY F. C., Traité de droit romain, t. VIII, trad. GUENOUX C., p. 131.

12 CARLIER J.-Y., « Droit d’asile et des réfugiés : de la protection aux droits », RCADI, Vol. 332, 2007, p. 316.

13 NIBOYET M.-L. et GEOUFFRE DE LA PRADELLE G., Droit international privé, LGDJ, 3ème éd., 2011, p. 315.


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