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Article 14

Propriété intellectuelle et industrielle

En matière de protection de la propriété industrielle, notamment d'inventions, dessins, modèles, marques de fabrique, nom commercial, et en matière de protection de la propriété littéraire, artistique et scientifique, tout réfugié bénéficiera dans le pays où il a sa résidence habituelle de la protection qui est accordée aux nationaux dudit pays. Dans le territoire de l'un quelconque des autres Etats contractants, il bénéficiera de la protection qui est accordée dans ledit territoire aux nationaux du pays dans lequel il a sa résidence habituelle.

Commentaire

Auteur : Antoine Mars, doctorant, CRDEI, Université de Bordeaux
Date de publication : Mars 2016

L’objet de l’article 14 est la protection de la propriété incorporelle. Comme pour la propriété stricto sensu les droits visés sont opposables erga omnes mais ils ont cela de particulier que leur objet est immatériel. Ainsi, sont spécifiquement protégés les droits portant sur les œuvres de l’esprit formant, d’une part, la propriété intellectuelle et, d’autre part, la propriété industrielle. Deux alinéas composent l’article 14. Le premier porte sur la protection de la propriété incorporelle du réfugié dans l’État d’accueil. Le second traite de l’extension de cette protection sur le territoire des autres États contractants. La spécificité des questions relatives à la propriété incorporelle justifie un traitement différent des droits de propriétés protégés à l’article 13. De ce fait, le champ d’application de l’article 14 est limité (I) et la protection accordée au réfugié est efficace (II).

I- L’applicabilité de la protection de la propriété incorporelle


Si le champ d’application matériel de la disposition est maximum pour permettre la protection de l’ensemble des droits relatifs à la propriété incorporelle (B), tel n’est pas le cas du champ d’application personnel qui est limité à certains réfugiés (A).

A/ L’applicabilité personnelle de la protection de la propriété incorporelle


La protection de l’article 14 bénéficie à « tout réfugié… dans le pays où il a sa résidence habituelle ». Le bénéficiaire doit donc avoir la qualité de réfugié au sens de la présente convention (article 1. A.) mais également être résident habituel dans un État contractant. Si la première condition ne pose pas de problème particulier, la seconde amène quelques développements.


En effet, la notion de « résidence habituelle » n’est pas définie par la convention, elle ne l’est d’ailleurs pas davantage dans les différentes conventions internationales relatives au droit international privé qui y font référence, comme les conventions de La Haye. Il ressort des travaux préparatoires que la référence à la seule « résidence » a été rejetée car une certaine permanence de celle-ci était nécessaire pour que le réfugié puisse bénéficier des dispositions protectrices des droits de propriété incorporelle1. Avec une simple condition de résidence, la présence pour une courte période sur le territoire d’un État contractant aurait conduit à remplir la condition d’applicabilité personnelle du texte. L’excès inverse a également souhaité être évité en ne requérant pas que le refugié ait son « domicile » ou sa « résidence permanente » sur le territoire de l’État contractant pour bénéficier de la protection de l’article 14. Ces critères étaient en effet trop formels pour les rédacteurs de la convention2.


Cela étant, la disposition ne créant pas seulement des obligations pour les États parties mais également des droits pour les réfugiés, elle semble directement invocable devant les juridictions nationales. Et, en l’absence de définition conventionnelle de la « résidence habituelle », la détermination de celle-ci peut s’avérer problématique. De la même manière qu’en droit international privé, « il s’agit apparemment d’une notion objective et de pur fait, mais elle n’exclut pas la prise en compte d’un élément intentionnel, dont l’importance peut varier selon la matière en cause »3. L’idée sous-jacente dans la présente convention est d’exiger une certaine continuité de la résidence sans pour autant recourir à la notion trop rigide de « domicile ». Pour autant, cela impliquerait de rechercher une certaine intention du réfugié de s’établir dans l’État d’accueil, ce qui rapprocherait alors la « résidence habituelle » du « domicile » alors que les rédacteurs de la convention ont souhaité les différencier.


L’article n’exige pas que le séjour du réfugié sur le territoire de l’État contractant soit un séjour régulier4. Cependant, un séjour irrégulier semble compromettre la vocation du réfugié à s’établir à plus ou moins long terme dans le pays et donc à satisfaire la condition de résidence habituelle.
En tout état de cause, l’applicabilité personnelle de l’article 14 est conditionnée par la résidence habituelle du réfugié dans l’État partie. Notion purement factuelle, la résidence habituelle sera librement appréciée par le juge qui accordera plus ou moins largement au réfugié le bénéfice de la protection de l’article 14.

B/ L’applicabilité matérielle de la protection de la propriété incorporelle


Du point de vue des droits protégés par l’article, ils relèvent tant de la propriété industrielle que de la propriété intellectuelle. L’énumération relative à la propriété industrielle ne saurait être une liste exhaustive ou limitative comme l’indique l’emploi de l’adverbe « notamment ». Cette énumération démontre que la protection vise directement la chose protégée (le dessin, le nom commercial, etc.) et non le mécanisme de protection qui dépend largement de l’État dans lequel on souhaite y recourir (concurrence déloyale, responsabilité délictuelle, copyright, etc.)5. En effet, les mécanismes de protection sont très variés et diffèrent selon que l’on recoure à un droit de propriété incorporelle ou à une action en justice visant à obtenir réparation du préjudice subi.


Cela témoigne de la volonté des rédacteurs de garantir une applicabilité matérielle de la protection la plus large possible. Sont visées les œuvres de l’esprit dans leur généralité et la détermination du champ ratione materiae de l’article suppose une interprétation large. Cette approche se retrouve dans les autres traités de protection de la propriété incorporelle. Ainsi, dans sa dernière version en date de 1979, la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle prévoit, à son article 1. 3., que « la propriété industrielle s’entend dans son acception la plus large ». Quant à la propriété intellectuelle, une interprétation semblable doit lui être donnée, également aidée par les multiples instruments internationaux qui envisagent sa protection. À titre d’exemple, entre dans le champ de l’article 14 la longue liste des œuvres protégées énumérée à l’article 2. 1. de la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, dans sa dernière version de 1979.
Une fois le champ d’application de la protection définit, il faut en envisager l’intensité.

II- L’intensité de la protection de la propriété incorporelle


Divisés en deux alinéas, l’article 14 protège la propriété industrielle et intellectuelle du réfugié dans deux cas : dans l’État d’accueil et dans les autres États contractants. Le principe posé est celui du traitement national du réfugié (A) Ce traitement est étendu dans les autres États parties pour créer une protection uniforme (B).

A/ Le principe du traitement national


En matière de propriété industrielle et intellectuelle, le réfugié « bénéficiera dans le pays où il a sa résidence habituelle de la protection qui est accordée aux nationaux dudit pays ». Cela correspond au principe du traitement national qui fait obligation à un État d’accorder à un étranger le même traitement qu’à ses ressortissants. Ce principe se retrouve dans les divers instruments internationaux de protection de la propriété incorporelle. L’obligation à la charge des États ne consiste pas en la création d’une protection substantielle ni à un standard minimum de protection mais au traitement du réfugié comme un national6. En cela la convention de Genève peut différer des autres textes internationaux applicables en la matière qui peuvent prévoir certains standards de protection minimum.

B/ La continuité du traitement national


Dans le second alinéa, il est prévu que, dans le territoire des autres États contractants, le réfugié « bénéficiera de la protection qui est accordée dans ledit territoire aux nationaux du pays dans lequel il a sa résidence habituelle ». La majorité des États ont ratifié les instruments internationaux de protection de la propriété incorporelle qui posent en principe le traitement national des étrangers en la matière. Dès lors, traiter dans un État tiers le réfugié comme un national de l’État d’accueil reviendra, dans la plupart des cas, à le traiter comme un national de l’État tiers.


Cependant, dans de rares cas, il se peut que l’État d’accueil ou l’État tiers ne soient pas parties à ces instruments mais uniquement à la convention de Genève. C’est pour cela que l’article 14 alinéa 2 ne prévoit pas que le réfugié soit traité comme un national dans chaque État contractant car cela pourrait revenir à ce qu’il soit mieux traité dans l’État tiers qu’un ressortissant de l’État d’accueil7.


Il faut finalement souligner que les principaux traités internationaux comme la convention de Berne et la convention de Paris prévoient, dans leurs dernières versions, une assimilation du résident habituel au national de l’État contractant, ce qui prive largement l’article 14 de son utilité pratique, surtout au vu de l’importance des ratifications de ces deux textes8.

1 ZIMMERMANN, A. (dir.), The 1951 Convention Relating to the Status of Refugees and its 1967 Protocol: a commentary, Oxford, New York, Oxford University Press, Collection Oxford commentaries on international law, 2011, p. 905, §36.

2 Ibidem.

3 MAYER, P., HEUZÉ, V., Droit international privé, LGDJ, 11ème éd., 2014, p. 138, §180.

4 ZIMMERMANN, A. (dir.), The 1951 Convention Relating to the Status of Refugees and its 1967 Protocol: a commentary, Oxford, New York, Oxford University Press, Collection Oxford commentaries on international law, 2011, p. 905, §38.

5 ZIMMERMANN, A. (dir.), The 1951 Convention Relating to the Status of Refugees and its 1967 Protocol: a commentary, Oxford, New York, Oxford University Press, Collection Oxford commentaries on international law, 2011, p. 903, §29 et p. 904, §32.

6 ZIMMERMANN, A. (dir.), The 1951 Convention Relating to the Status of Refugees and its 1967 Protocol: a commentary, Oxford, New York, Oxford University Press, Collection Oxford commentaries on international law, 2011, p. 905, §39.

7 ZIMMERMANN, A. (dir.), The 1951 Convention Relating to the Status of Refugees and its 1967 Protocol: a commentary, Oxford, New York, Oxford University Press, Collection Oxford commentaries on international law, 2011, p. 906, §43.

8 ZIMMERMANN, A. (dir.), The 1951 Convention Relating to the Status of Refugees and its 1967 Protocol: a commentary, Oxford, New York, Oxford University Press, Collection Oxford commentaries on international law, 2011, p. 907, §45.


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