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Article 31

Réfugiés en situation irrégulière dans le pays d'accueil

1. Les Etats contractants n'appliqueront pas de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, aux réfugiés qui, arrivant directement du territoire où leur vie ou leur liberté était menacée au sens prévu par l'article premier, entrent ou se trouvent sur leur territoire sans autorisation, sous la réserve qu'ils se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières.
2. Les Etats contractants n'appliqueront aux déplacements de ces réfugiés d'autres restrictions que celles qui sont nécessaires; ces restrictions seront appliquées seulement en attendant que le statut des réfugiés dans le pays d'accueil ait été régularisé ou qu'ils aient réussi à se faire admettre dans un autre pays. En vue de cette dernière admission les Etats contractants accorderont à ces réfugiés un délai raisonnable ainsi que toutes facilités nécessaires.

Commentaire

Auteur : Pauline Girerd, Avocate
Date de publication : Mars 2016
 
   
L’effectivité du droit d’asile suppose, pour le demandeur d’asile, de pouvoir pénétrer dans l’Etat d’accueil pour y déposer sa demande, et plus en amont, de quitter son pays d’origine.
L’accès à l’asile est donc en pratique subordonné à l’entrée sur le territoire. Or, les Etats, soucieux de leur souveraineté et de leurs frontières, cherchent toujours à contrôler l’accès à celui-ci. C’est à cette fin que les visas ont été institués. Pour permettre aux réfugiés de demander l’asile, il faut donc leur permettre de séjourner afin que leur situation soit étudiée et éventuellement régularisée. Cette possibilité est protégée par la Convention, par le biais de deux articles : l’article 32 interdisant le refoulement des étrangers, et l’article 31, instituant l’immunité pénale. Ces principes ont une incidence territoriale que les Etats sont tenus de respecter. On touche ici à la limite entre la souveraineté de l’Etat et sa soumission aux engagements internationaux qu’il a souscrit.
Cet article 31 s’articule autour de deux idées complémentaires, qui ont pour but commun d’encadrer la privation de liberté du demandeur d’asile. Dans un premier temps il évoque le problème de la mise en cause pénale de celui-ci, et dans un second temps la restriction de liberté imposée durant l’examen de sa demande ou dans l’attente de son admission dans un autre Etat. Ces problématiques sont plus que jamais d’actualité. En effet, si la dépénalisation de l’entrée et du séjour des étrangers semble s’être généralisée, du moins au niveau européen, la question de la restriction des libertés prend une place de plus en plus importante avec le recours à l’examen des demandes d’asile selon la procédure prioritaire, et le placement en zone d’attente ou en centre de rétention des demandeurs d’asile. Du fait de la politique stricte en matière d’immigration des Etats, qui souhaitent plus que jamais assurer leur souveraineté et le contrôle de leurs frontières, la suspicion se porte sur les demandeurs d’asile, assimilés à des étrangers de droit commun, malgré la protection spéciale qui doit leur être accordée.
Or le problème que pose l’entrée sur le territoire du demandeur d’asile est que la détermination de la réalité du besoin de protection, et donc du statut de réfugié, n’intervient qu’après une première étape indispensable qui est le dépôt de cette demande, ainsi examinée par les autorités. Ces étapes sont en principe distinctes de celles en charge de la police de l’entrée sur le territoire et donc du statut de la personne à son arrivée.
Nous expliquerons dans un premier temps le régime d’application de l’article 31 (I), avant de nous intéresser aux évolutions actuelles qui le touchent (II).

I – Le régime d’application de l’article 31 de Convention de Genève

Nous étudierons dans un premier temps l’article en lui-même (A), puis les applications qu’il a reçues, tant en droit français qu’européen et international (B).

A – Le texte de l’article 31 : le principe de l’immunité pénale
L’article 31 instaure le principe d’immunité pénale et de restriction minimale de déplacements des demandeurs d’asile. Il met à la charge des Etats une obligation négative de ne pas imposer de sanction pénale au demandeur d’asile.
En d’autres termes, le demandeur d’asile ne peut être condamné pour avoir pénétré ou séjourné dans l’Etat d’accueil sans les documents nécessaires (papiers d’identité, visa), dès lors qu’il répond aux critères posés par l’article. Le second alinéa prévoit quant à lui que la liberté de circulation du réfugié, au sens de demandeur d’asile, ne doit être limitée que dans les proportions nécessaires, dans l’attente de la régularisation de son statut ou de son renvoi vers un autre Etat susceptible de l’accueillir en vertu des accords Schengen.
Cette immunité traduit la prise en considération par les Etats signataires des difficultés pratiques du demandeur d’asile pour remplir les conditions imposées à l’entrée sur le territoire notamment au regard de l’obtention des documents nécessaires pour entrer sur le territoire et demander l’asile. Pénalement, il s’agit bien d’une immunité, qui empêche les poursuites contre l’étranger, et non d’un fait justificatif.
Cette immunité pénale est soumise à des conditions. Tout d’abord, elle ne concerne que les infractions d’entrée et de séjour irrégulier. Les infractions autres qui pourraient être commises par l’étranger ne sont pas concernées, même si elles sont liées au séjour ou à l’entrée. Par exemple l’usage de faux documents pour pénétrer sur le territoire est sanctionné pénalement.
L’article pose trois conditions à l’application de l’immunité. La première, l’arrivée directe sur le territoire où la demande est présentée depuis l’Etat d’origine est traitée, pour les Etats membres de l’espace Schengen, par les règles applicables en matière d’Etat compétent pour l’examen de la demande d’asile. Lorsque ces règles ne s’appliquent pas, la jurisprudence en fait une application stricte. La seconde condition de délai doit être comprise comme un délai raisonnable durant lequel le réfugié peut déposer sa demande. On s’assure ainsi de sa bonne foi. Si la demande excède le délai raisonnable, le demandeur est alors placé en procédure prioritaire, ce qui aura des conséquences sur les garanties dont il bénéficie, notamment concernant la restriction de ses déplacements.
Enfin, l’exigence de raisons valables suppose nécessairement que cette appréciation soit portée postérieurement à l’examen de la demande d’asile. En d’autres termes, si le demandeur d’asile se voit reconnaître le statut de réfugié, alors il pourra bénéficier de l’immunité. Si en revanche, sa demande est rejetée, la Convention ne le protège pas. Cette distinction est logique, puisque la Convention tend à protéger les réfugiés, et non les demandeurs d’asile, par conséquent le demandeur qui ne se verra pas accorder le statut de réfugié n’entre pas dans le champ d’application de la Convention. Cette appréciation postérieure à l’entrée doit être comprise en relation avec le non-refoulement. En effet, pour pouvoir déposer sa demande d’asile, l’étranger doit pouvoir entrer sur le territoire. C’est une fois entré que la question de son statut sera examinée. Dichotomie de statut et donc d’appréciation. Ces deux temps de raisonnement : l’entrée sur le territoire et l’examen de la demande, sont au cœur du problème de l’application de la Convention et de la politique d’immigration et d’asile des Etats.
Il faut en effet bien voir que les articles 31 et 32 de la Convention renvoient à l’idée d’une sélection qui serait faite par les Etats en amont, c’est à dire en filtrant l’arrivée, par l’admission du visa, avant même que l’étranger ait pu quitter son territoire d’origine. En permettant au demandeur d’asile d’entrer sur le territoire et de déposer sa demande une fois entré, on permet de fait la demande d’asile. La sélection depuis le pays d’origine empêche la demande, ou la limite fortement. L’article 31 a donc une double portée : d’une part, empêcher les Etats contractants de faire obstacle à une demande du fait de l’absence de visa pour entrer sur le territoire, et d’autre part d’éviter un refoulement indirect, qui consisterait à empêcher le demandeur d’asile de quitter son pays, et donc lui refuser toute possibilité de déposer une demande et donc de se voir reconnaître le statut de réfugié. Ce refoulement indirect, aussi appelé refoulement par anticipation, se traduit aussi par l’interception des réfugiés avant l’arrivée à la frontière, ou par l’interdiction faite aux transporteurs, en particulier aériens ou maritimes, d’acheminer des personnes dépourvues des documents nécessaires, et ce à fin d’éviter que les réfugiés ne se présentent sur le territoire.
L’article se poursuit par un second alinéa, limitant la restriction des déplacements des réfugiés durant la période d’examen de leur demande. Ces restrictions doivent être strictement nécessaires. Se posera alors la question du placement en rétention ou en zone d’attente.

B – Applications en droit français, européen et international
La Convention doit être respectée aussi bien par le droit interne que par les règles européennes et internationales. La Cour E.D.H. est aussi saisie de la question à travers les recours exercés devant elle. De fait, tant le droit français que la jurisprudence de la CJUE interdisent aujourd’hui de sanctionner pénalement les étrangers indistinctement. En pratique, lorsque le demandeur d’asile est entré sur le territoire et a fait connaître rapidement son intention de demander l’asile, il ne peut être reconduit à la frontière et on ne peut lui opposer l’absence de documents permettant son entrée ou sa présence sur le territoire, et il ne peut être sanctionné pénalement sur ce motif. Si une demande a déjà été déposée par cette personne dans un autre Etat membre de l’espace Schengen, et dans la mesure où son renvoi ne l’expose pas à subir des traitements inhumains ou dégradants, il peut être reconduit dans cet Etat mais en aucun cas ne peut subir de sanction pénale.
Les transporteurs portent en la matière une responsabilité particulière. La question de l’interception avant l’entrée sur le territoire se pose, notamment aujourd’hui vis-à-vis du transport par bateau. Existe-t-il à cet égard une obligation extraterritoriale ? La question se pose particulièrement en droit français au regard de la situation à Mayotte, où l’arrivée par bateau est quotidienne. En France, le Conseil d’Etat a prohibé le refoulement et la consignation à bord du navire, ce qui serait effectivement contraire à la Convention. Mais tous les Etats ne respectent pas cette obligation. Par ailleurs, l’obligation faite aux transporteurs internationaux de refuser l’embarquement de passagers démunis de pièces d’identité ou des visas nécessaires est généralisée. Pourtant, elle est contraire à la Convention. Les Etats se fondent sur des conventions notamment en matière d’aviation internationale, ou les accords Schengen. Cependant, ceux-ci doivent être conformes à la Convention. La légalité de ces interdictions interroge donc. Pour autant, elles perdurent. Dans le même cadre, la pénalisation des transporteurs routiers pose problème. Les articles 31 et 32 se rejoignent donc concernant ce refoulement indirect.
Au regard de l’article 31 alinéa 2, la question de la restriction de liberté se pose. A cet égard, il est indispensable de se tourner vers la jurisprudence de la Cour E.D.H. En effet, la restriction de liberté est envisagée, au même titre que la détention, par l’article 5 de la Convention. A partir de cet article, la Cour a mis en place une jurisprudence encadrant tant le placement en centre de rétention qu’en zone d’attente des étrangers, et plus particulièrement des demandeurs d’asile, veillant à ce que la privation de liberté, si elle n’est plus une détention, ne soit pas arbitraire et disproportionnée. Cette question est aujourd’hui la question principale qui se pose, au regard de l’évolution du droit en parallèle de l’article 31 de la Convention.

II – L’évolution de l’application de l’article 31

Il s’agit d’une part la dépénalisation de l’étranger au niveau européen (A) et d’autre part de la généralisation de la rétention du demandeur d’asile.

A –La dépénalisation de l’étranger – situation mondiale et européenne
Régulièrement, le Haut-Commissariat aux Réfugiés exprime sa préoccupation au regard du grand nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile dans différentes régions du monde faisant alors l’objet de détention ou de mesures restrictives similaires du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers en vue d’obtenir l’asile. Il réaffirmait que la détention, en raison des souffrances qu’elle entraîne, devait être évitée, sauf nécessité prévue par la loi. Il soulignait aussi la distinction nécessaire à faire entre les demandeurs d’asile et les autres migrants, et recommandait que les mesures de détention puissent faire l’objet d’un recours judiciaire et administratif, et que les conditions de détention soient humaines et que les étrangers ne soit pas retenus dans les mêmes bâtiments que des détenus de droit commun.
En droit européen, la pénalisation de l’entrée et du séjour irrégulier est aujourd’hui considérée non conforme. En effet, la CJUE, dans ses arrêts Achugbabian1 et El Dridi2, a considéré que le placement en détention des étrangers pour l’infraction d’entrée ou de séjour irrégulier sur le territoire était contraire aux normes européennes, qui visent l’éloignement efficace de l’étranger. Le droit européen va donc plus loin que la Convention, en ce qu’il interdit la pénalisation de tous les étrangers, et non seulement les demandeurs d’asile. Le but poursuivi n’est pourtant pas le même et a des implications différentes concernant le placement en zone d’attente. Cependant, cette dépénalisation n’est pas totalement appliquée dans le monde.

B – De la détention à la rétention : quelles restrictions de la liberté au sens de l’alinéa 2 de l’article 31
Les Etats ont le droit de contrôler l’entrée et le séjour des étrangers3. Pour la Cour EDH, le placement en détention des demandeurs d’asile est un corollaire de ce droit, l’arrêt Amuur indique que la détention d’étrangers, et notamment de demandeurs d’asile, peut se concilier avec l’article 5§1f). La détention vise à garantir l’exécution d’une obligation prévue par la loi et un équilibre doit être ménagé entre la nécessité dans une société démocratique de garantir l’exécution immédiate de l’obligation dont il s’agit, et l’importance du droit à la liberté. Ici, on ne parle pas de détention pénale, mais de placement en zone d’attente avant autorisation de pénétrer sur le territoire, ou maintien en centre de rétention durant l’examen de la demande.
Juridiquement, la zone d’attente ne fait pas partie du territoire. En maintenant l’étranger dans cette zone, on empêche de fait son entrée sur le territoire. Ce refus est en matière d’asile fondé sur le caractère manifestement infondé de la demande, qui renvoie aux critères de raisons reconnues valables de l’article 31. La demande d’asile déposée depuis une zone d’attente si l’étranger n’est pas admis à pénétrer sur le territoire est nécessairement traitée en procédure prioritaire, présumant de la mauvaise foi du demandeur. Si elle n’est pas maintenue en zone d’attente, dès son entrée, la personne doit faire connaître son intention de demander l’asile. Dans ce cas les Etats n’appliquent aucune sanction pénale, mais placent le demandeur d’asile en rétention, ce qui est une privation de liberté soumise au régime de l’article 5 de la CEDH, tout comme la détention. Or, placé en rétention comme en zone d’attente, l’étranger n’a pas accès au conseil et aux juridictions autant qu’en cas de poursuites pénales.
Or, si l’absence de pénalisation est positive, on ne peut que s’interroger sur les garanties insuffisantes relevées régulièrement par la CEDH en matière de rétention, et notamment dans le cas des zones d’attente. La jurisprudence européenne a mis en place des garanties élémentaires, à cet égard, l’arrêt Saadi4 est d’une importance capitale5, mais la garantie efficace des droits des demandeurs d’asile placés en zone d’attente reste problématique, tant quant à la procédure de placement en rétention que des conditions de rétention.
Le 15 février 2016, dans son arrêt J.N., la CJUE était interrogée sur la conformité de la rétention des demandeurs d’asile telle que prévue dans la directive « accueil » (2013/33/UE) au droit à la liberté et à la sûreté. Elle a répondu par l’affirmative tout en rappelant que la rétention des demandeurs d’asile est une mesure particulièrement grave qui ne peut être justifiée que si le comportement du demandeur « représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société ou de la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat membre concerné »6.

1 CJUE, arrêt du 6 décembre 2011, Alexandre Achughbabian, Affaire n°C-329/11

2 CJUE, arrêt du 28 avril 2011, Hassen El Dridi, Affaire C-61/11 PPU

3 Cour E.D.H., Arrêt du 25 juin 1996, Affaire Amuur c. France, Requête n° 19776/92 § 41.

4 Cour E.D.H., Grand chambre, Arrêt du 29 janvier 2008, Affaire Saadi c. Royaume-Uni, Requête n° 13229/03

5 Voir aussi : Cour E.D.H., Arrêt du 5 février 2002, Affaire Čonka c. Belgique, Requête n° 51564/99, Cour E.D.H., Arrêt du 12 octobre 2006, Affaire Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, Requête n° 13178/03 Cour E.D.H., Arrêt du 24 janvier 2008, Affaire Riad et Idiab c. Belgique, Requêtes n° 29787/03 et 29810/03 et Cour E.D.H., Arrêt du 11 juin 2009, Affaire S.D. c. Grèce, Requête n° 53541/07.

6 CJUE, 15 février 2016, J.N., Aff C-601/15 PPU


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  • Alexandre Achughbabian

  • Hassen El Dridi

  • S.D. c. Grèce

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