menu

Article 34

Naturalisation

Les Etats contractants faciliteront, dans toute la mesure du possible, l'assimilation et la naturalisation des réfugiés. Ils s'efforceront notamment d'accélérer la procédure de naturalisation et de réduire, dans toute la mesure du possible, les taxes et les frais de cette procédure.

Commentaire

Auteur : Marion Blondel, docteure, CRDEI, Université de Bordeaux
Date de publication : Mars 2016

 

L’article 34 de la Convention vise à ce que la personne ayant fui son Etat de nationalité puisse s’établir durablement dans l’Etat d’accueil et y vivre normalement, c'est-à-dire en participant à la vie sociale, économique et culturelle de cet Etat1. Ce souci d’intégration locale constitue un principe fondamental du droit des réfugiés que l’article 34 cherche à concrétiser en facilitant l’acquisition de la nationalité de l’Etat d’accueil par naturalisation. En effet, si, contrairement à l’apatride, le réfugié dispose d’une nationalité, celui-ci, persécuté par son propre Etat, ne jouit en revanche plus des droits qui y sont attachés. Dans l’hypothèse où la naturalisation est accordée, la personne devient nationale de l’Etat et perd ainsi le statut de réfugié.
L’article 34 incite les Etats à faciliter l’assimilation et la naturalisation du réfugié (I). Il expose ensuite deux moyens spécifiques de cette facilitation, à savoir l’accélération de la procédure de naturalisation et la réduction des coûts y afférant (II).

I- « Les Etats contractants faciliteront, dans toute la mesure du possible, l’assimilation et la naturalisation des réfugiés »

Cette première phrase de l’article distingue assimilation et naturalisation du réfugié.
D’abord, la référence à l’assimilation a porté à discussion, sa connotation péjorative ayant été évoquée lors des travaux préparatoires2. Ceux-ci ont cependant révélé que la notion doit être comprise comme la description d’un « certain stade de l'évolution de la vie du réfugié et de l'évolution générale du problème des réfugiés »3. L’assimilation transcrit l’idée que « les réfugiés se fondront dans la communauté nationale et ne resteront pas isolés »4. Ainsi, la notion d’assimilation « correspond bien à la condition que doit remplir le réfugié pour être naturalisé »5.
La naturalisation désigne ensuite l’octroi de la nationalité – c'est-à-dire du lien juridique qui relie un individu à un État déterminé6 – par décision de l’autorité publique, à un étranger qui la demande, en l’espèce la personne réfugiée. La nationalité appartient au domaine réservé de l’Etat : celui-ci dispose d’une compétence exclusive relativement à l’octroi et au retrait de sa propre nationalité7. C’est ce qui explique la prudence de rédaction de cet article, dont les travaux préparatoires illustrent l’assouplissement progressif des engagements relatifs à la naturalisation8. En effet, dans la mesure où l’acquisition de la nationalité confère à l’individu certains droits, notamment politiques, la Convention n’impose pas aux Etats parties une obligation de naturaliser l’ensemble des réfugiés présents sur leur territoire, et leur laisse le soin d’en fixer les conditions. Ainsi, le statut de réfugié n’ouvre pas automatiquement droit à la naturalisation dans le pays d’accueil. A cet égard, la plupart des législations internes prévoient des conditions générales – notamment d’âge, de ressources, de longueur du séjour sur le territoire – lesquelles peuvent être assouplies, selon l’article 34, lorsque le demandeur est un réfugié. Par exemple, en France, les articles 21 - 15 et suivants  du Code civil prévoient que la naturalisation peut être accordée à une personne majeure9, de bonne vie et mœurs10 et assimilée11 – ce qui suppose la connaissance de la langue et des droits, devoirs, principes et valeurs impliqués par la nationalité française –, résidant en France12 depuis au moins 5 ans avant le dépôt de la demande13. Lorsque le demandeur a le statut de réfugié, une dispense de durée de stage est accordée14 et l’exigence d’assimilation linguistique ne s’applique pas aux réfugiés et apatrides résidant régulièrement et habituellement en France depuis au moins 15 ans et âgés de 70 ans et plus15.
L’article n’impose pas que le réfugié soit nécessairement traité plus favorablement qu’un étranger relativement à la naturalisation. Certains Etats ont ainsi émis des réserves – parfois sur son applicabilité globale16 - quant à son interprétation, refusant notamment d’accorder plus de droits aux réfugiés qu’aux autres étrangers relativement à la naturalisation17.
Ainsi, l’article 34 prend la forme d’une recommandation plutôt que d’une véritable obligation. Les décisions de l’Etat relativement à la naturalisation des réfugiés doivent toutefois être prises de bonne foi18.

II- « Ils s’efforceront notamment d’accélérer la procédure de naturalisation et de réduire, dans toute la mesure du possible, les taxes et frais de cette procédure »

L’Etat facilite la naturalisation aux réfugiés en accélérant la procédure entre le dépôt de la demande et la décision et en réduisant les coûts y afférant. L’adverbe « notamment » démontre que ces mesures ne sont pas exclusives et leur mention explicite indique leur importance aux yeux des rédacteurs du texte.
L’expression « dans la mesure du possible » a été ajoutée à la tournure plus directe initialement adoptée par la position du Secrétaire général19. Cette rédaction particulièrement prudente indique ainsi que la facilitation de la naturalisation renvoie à une obligation de moyen.
Concernant l’accélération de la procédure, on peut citer l’exemple français, qui prévoit une dispense de la durée de stage20, et l’exemple hongrois, qui la réduit à 3 ans au lieu des 8 années normalement exigées21.
Concernant la réduction des coûts liés à la procédure, la question avait porté sur sa réserve aux réfugiés sans ressources uniquement22. L’article 34 dans sa version actuelle correspond ainsi à l’idée développée par le Canada, selon lequel « les réfugiés ont déjà fait face à d’énormes difficultés et contraintes… En éliminant les frais nous les aidons à continuer normalement leur vie et à s’intégrer avec succès dans la société »23. Dans la pratique, le Haut commissariat pour les réfugiés a cependant observé que certains Etats pratiquent une politique de coûts élevés de la procédure de naturalisation24. Dans certains Etats peu développés, le HCR a parfois contribué sur ses fonds propres pour permettre la naturalisation de réfugiés25.
La faiblesse de la formulation de l’article 34 implique sa faible puissance contraignante, si bien qu’il semble que seule l’hypothèse d’une naturalisation complètement inaccessible au réfugié constitue une violation de l’article 3426. En effet, à titre d’illustration, la modification en 2002 de la législation danoise, faisant passer effectivement de six à neuf ans la durée de stage pour les étrangers, réfugiés ou non, n’a pas été considérée comme une violation de l’article 34. De plus, il est remarquable que Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ne fasse pas mention de cet article ni plus globalement de la naturalisation du réfugié. En revanche, la liberté laissée aux Etats par cette formulation semble avoir eu pour effet de promouvoir la facilitation de la naturalisation des réfugiés.

1 Comité spécial pour les réfugies et les apatrides, Compte rendu analytique de la trente-neuvième séance, Déclaration de M. JUVIGNY (France),  21 aout 1950, Genève, UN.Doc. E/AC.32/SR.39

2 Comité spécial pour les réfugies et les apatrides, Compte rendu analytique de la trente-neuvième séance, 21 aout 1950, Genève, UN.Doc. E/AC.32/SR.39.

3 Comité spécial pour les réfugies et les apatrides, Compte rendu analytique de la trente-neuvième séance, Déclaration de M. JUVIGNY (France),  21 aout 1950, Genève, UN.Doc. E/AC.32/SR.39.

4 Comité spécial pour les réfugies et les apatrides, Compte rendu analytique de la trente-neuvième séance, Déclaration de M. PEREZ PEROZO (Venezuela),  21 août 1950, Genève, UN.Doc. E/AC.32/SR.39.

5 Comité spécial pour les réfugies et les apatrides, Compte rendu analytique de la trente-neuvième séance, Déclaration de M. JUVIGNY (France),  21 août 1950, Genève, UN.Doc. E/AC.32/SR.39.

6 CIJ, 6 avril 1955, Affaire Notteböhm, CIJ Recueil 1955: « La nationalité est un lien juridique ayant à sa base un fait social de rattachement, une solidarité effective d’existence, d’intérêts, de sentiments, jointe à une réciprocité de droits et de devoirs ».

7 CPJI, 21 février 1925, Affaire de l’échange des populations grecques et turques, Recueil des avis consultatifs, série B, n°10.

8 La version anglaise est particulièrement significative : l’expression « To the fullest possible extent » du Ad hoc Committee on Statelessness and related Problems, Status of Refugees and Stateless Persons, Memorandum by the Secretary-General, Statelessness Conference, 3 jan. 1950, art. 28 devient ainsi « as far as possible » dans le texte final Convention relating to the Status of refugees, 28 july 1951, GANU Res. 429 (V) of 14 december 1950, art. 34.

9 Art.21-22 Code civil français.

10 Art. 21-23 Code civil français.

11 Art. 21-24 Code civil français.

12 Art.21-16 Code civil français.

13 Art. 21-17 Code civil français.

14 Art. 21-19 Code civil français.

15 Art. 21-24-1 Code civil français.

16 Botswana, Lettonie, Papouasie Nouvelle Guinée.

17 Chili, Honduras, Malawi, Mozambique.

18 Voir en ce sens : BVerw.GE, 1C 44/70, 1er juillet 1975, BVerw.GE 49, 44, 47 : la demande de naturalisation présentée aux autorités allemandes compétentes doit être examinée et la décision prise de bonne foi.

19 « Réduire les taxes et frais de procédure » : Comité spécial de l’apatridie et des problèmes connexes, Statut des réfugiés et apatrides, Mémorandum préparé par le Secrétaire général, Conférence apatrides, 3 janvier 1950.

20 Art. 21-19 Code civil français.

21 Voir en ce sens, FULLERTON, M.,  « Hungary, Refugees, and the Law of return, From Improvisation toward awareness: Contemporary Migration politics in Hungary”, Ed. FULLERTON, M., SIK, E., TOTH, J., 1997.

22 Comité spécial de l’apatridie et des problèmes connexes, Statut des réfugiés et apatrides, Mémorandum préparé par le Secrétaire général, Conférence apatrides, 3 janvier 1950.

23 Citizenship and Immigration Canada, « Landing fee eliminated for refugees », 28 feb. 2000, quoting Minister of citizenship and immigration Elinor Caplan. Nous traduisons “Refugees have already faced enormous difficulties and stresses… By eliminating this fee we help them to get on with their lives and to integrate successfully into [Canadian] society”.

24 Cf. en ce sens : BOSE, N., « Des réfugiés afghans en quête d’une identité indienne », Article d’actualité, UNHCR, 19 mai 2005.

25 Par exemple, le HCR participa en 1980 à la naturalisation massive de réfugiés rwandais en Tanzanie. Cf. en ce sens : CHOL, A., “The legal dimensions of the refugee problem in Africa”, 14, Migrations, 5, 1992. 

26 HATHAWAY, J.C., The right of refugees under international law, Cambridge University Press, 2011, p. 989.


Ouvrages liés à l'article


  • The rights of refugees under international law
  • Asylum and integration in member states of the EU: integration of recognized refugee families as defined by the Geneva Convention considering their status with respect to the law of residence
  • Convention relating to the status of refugees : its history, contents and interpretation : a commentary

Articles liés à l'article


  • Article 34 1951 Convention
  • Rights of Refugees in the Context of Integration : Legal Standards and Recommendations
  • Sixty Years in Limbo : the Duty of Host States to integrate Palestinian Refugees under Customary International Law

Jurisprudences liées à l'article


  • BVerw.GE 49, 44