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Article 41

Clause fédérale

Dans le cas d'un Etat fédératif ou non unitaire, les dispositions ci-après s'appliqueront :

a) En ce qui concerne les articles de cette Convention dont la mise en œuvre relève de l'action législative du pouvoir législatif fédéral, les obligations du Gouvernement fédéral seront, dans cette mesure, les mêmes que celles des Parties qui ne sont pas des Etats fédératifs;

b) En ce qui concerne les articles de cette Convention dont l'application relève de l'action législative de chacun des états, provinces ou cantons constituants, qui ne sont pas, en vertu du système constitutionnel de la fédération, tenus de prendre des mesures législatives, le Gouvernement fédéral portera le plus tôt possible, et avec son avis favorable, lesdits articles à la connaissance des autorités compétentes des états, provinces ou cantons.

c) Un Etat fédératif Partie à cette Convention communiquera, à la demande de tout autre Etat contractant qui lui aura été transmise par le Secrétaire général des Nations Unies, un exposé de la législation et des pratiques en vigueur dans la Fédération et ses unités constituantes en ce qui concerne telle ou telle disposition de la Convention, indiquant la mesure dans laquelle effet a été donné, par une action législative ou autre, à ladite disposition.

Commentaire

Auteur : François-Vivien Guiot, docteur, CRDEI, Université de Bordeaux
Date de publication : Mars 2016

Le concept de « clause fédérale » désigne une « disposition d’un accord international reconnaissant à une partie contractante, qui est un Etat fédéral, la possibilité de ne pas être liée par toutes ou certaines dispositions de cet accord qui entrent dans la compétence réservée aux entités constitutives de cet Etat, en vertu de son droit constitutionnel, et ce aussi longtemps que le consentement de ces entités n’est pas acquis »1. L’adoption de ce mécanisme au sein de la Convention sur les réfugiés s’est poursuivie par l’introduction au sein du Protocole de New York du 31 janvier 1967 d’un article VI reproduisant exactement les mêmes dispositions. L’insertion d’une clause fédérale avait pour but de favoriser l’engagement des Etats en autorisant des exceptions dans l’application territoriale de la Convention de 1951 – dès lors que certaines matières relèvent non de la compétence du gouvernement central de l’Etat fédéral, mais de celle des entités fédérées2 – tout en évitant l’adoption formelle de réserves.

I- Présentation générale

La clause fédérale est un mécanisme relatif à l’application territoriale des traités internationaux conclus par des Etats non unitaires. En principe, les Etats cocontractants sont en droit d’exiger d’un Etat partie l’application d’une convention sur l’ensemble du territoire pour lequel ce dernier est internationalement reconnu – et ce, sans égard pour la structure constitutionnelle de l’Etat et la répartition des compétences susceptible d’induire une limitation des pouvoirs du gouvernement central3. Mais ce principe, qui repose sur le postulat selon lequel les relations extérieures et le treaty-making power relèvent uniquement du pouvoir central4, est susceptible de poser des problèmes juridiques et politiques au sein de l’Etat de forme fédérale au moment de la mise en œuvre des traités internationaux (il n’est d’ailleurs pas compris comme un principe absolu par les auteurs qui considèrent les clauses fédérales comme une forme particulière de réserve5).
En conséquence, les Etats ont parfois cherché à affronter le problème directement6, comme ce fut le cas en 1946 avec l’inscription d’une clause fédérale à l’article 19 de la Constitution de l’OIT7. Les stipulations ainsi prévues laissent aux Etats parties le soin de déterminer, en application de leurs règles constitutionnelles, si la compétence d’exécution revient au gouvernement central ou relève de la compétence des entités fédérées. Dans cette dernière hypothèse, l’obligation internationale de l’Etat partie se limiterait à assurer que les dispositions de droit international à mettre en œuvre sont soumises à l’autorité législative compétente8 (qui s’accompagne généralement d’une exigence d’information relative aux mesures qui ont été prises). Toutefois, Rosenne Shabtai observe que l’inscription d’une clause fédérale est souvent susceptible de créer des difficultés dans le processus de négociation d’une convention internationale, notamment quant à la définition de son contenu9. La clause fédérale a même pu être qualifiée d’« anachronisme qui remonte à l’époque de la Société des Nations »10. Le recours à cette technique semble en effet peu fréquent et d’utilisation désormais rare11. On relève pour l’essentiel les illustrations suivantes : article 19, §7 de la Convention de l’OIT, article 37 de la Convention du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides ; article 11 de la Convention du 20 juin 1956 sur le recouvrement des aliments à l’étranger ; article 28 de la Convention américaine relative aux Droits de l’Homme du 22 avril 196912; article 41 de la Convention sur la Cybercriminalité du 23 novembre 2001.
Comme le montrent ces deux derniers exemples, l’effet d’une clause fédérale est loin d’être univoque, puisqu’il peut découler de sa formulation qu’elle est destinée à assurer la bonne exécution des obligations conventionnelles dans les Etats fédératifs, et que même dans l’hypothèse où la clause tend à permettre l’expression de réserve quant au champ d’application territorial, ses effets à l’égard de la responsabilité internationale de l’Etat partie ne sont jamais clairement explicités.
Il semble en effet que l’inscription d’une clause fédérale se fasse souvent au prix d’une certaine incertitude quant à sa portée juridique, et plus précisément quant à la question de savoir si elle constitue une obligation de moyen ou de résultat. La question de la conformité des clauses fédérales avec le principe pacta sunt servanda et avec celui de la réciprocité des engagements (lorsqu’une convention est conclue entre des Etats unitaires et des Etats composés) n’est pas très claire non plus. En effet, on peut penser que, malgré la présence d’une clause fédérale, les articles 2613 et 2714 de la Convention de Vienne sur le droit des traités excluent toute possibilité pour l’Etat fédéral de s’exonérer de sa responsabilité internationale en cas d’inexécution d’une obligation conventionnelle15. A l’inverse, certains auteurs considèrent la clause fédérale comme une lex specialis par rapport à l’article 4, §1 des Articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite16.
De manière connexe, l’emploi des clauses fédérales pose la question de la compétence des juridictions internationales dans l’examen de l’exception invoquée par l’Etat fédéral en cas de non-application par les entités fédérales des obligations internationales. En effet, l’applicabilité de telles clauses suppose d’interpréter les dispositions constitutionnelles régissant la répartition des compétences au sein de l’Etat partie. Si les dispositions du droit interne ne relèvent a priori pas de la compétence des juridictions internationales, il serait peu souhaitable que l’argument tiré des formes constitutionnelles nationales ne soit soumis à aucune appréciation juridictionnelle.
Il faut ajouter pour conclure cette présentation générale que l’adoption d’une clause fédérale est normalement exclue en matière de droits fondamentaux – domaine dans lequel le principe de réciprocité est lui aussi écarté. Ainsi, selon l’arrêt Assanidzé c/Géorgie rendu en Grande Chambre le 8 avril 2004 par la Cour européenne des droits de l’homme17, « aucune clause “fédérale” comme celle de l’article 28 de la convention américaine18 n’est susceptible d’amoindrir les obligations de l’Etat partie. Elle peut donc souligner que “le devoir général incombant à l’Etat en vertu de l’article 1 de la Convention implique et exige la mise en œuvre d’un système étatique de nature à garantir le respect de la Convention sur tout son territoire et à l’égard de chaque individu. C’est d’autant plus vrai que, d’une part, cette disposition ne soustrait aucune partie de la ‘juridiction’ des Etats membres à l’empire de la Convention et que, d’autre part, c’est par l’ensemble de leur ‘juridiction’ - laquelle, souvent, s’exerce d’abord à travers la Constitution - que ces Etats répondent de leur respect de la Convention (Parti communiste unifié de Turquie et autres c/ Turquie, arrêt du 30 janvier 1998, Recueil 1998-I, pp. 17-18, § 29)” car “les autorités d’une entité territoriale d’un Etat représentent des institutions de droit public qui accomplissent des fonctions confiées par la Constitution et la loi” (§ 147 et 148) »19. De même, l’article 50 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’article 28 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 19 décembre 1966 s’appliquent sans exception à toutes les unités constitutives des Etats parties.

II- Adoption de la clause fédérale dans la Convention relative au statut des réfugiés

L’article 41 de la Convention de Genève constitue le premier cas de clause fédérale insérée dans une convention adoptée sous l’égide de l’ONU20. Absente des deux premiers projets, l’initiative de l’instauration d’une clause fédérale revient à la délégation israélienne, qui proposa de prendre en compte l’organisation fédérale des Etats à l’égard de l’obligation de mise en œuvre des dispositions conventionnelles (article 30 du projet de Convention), ainsi que pour les règles de signature et de ratification (article 38). Face aux difficultés de formulation de la clause fédérale, le Comité Ad Hoc pour l’apatridie et les problèmes connexes reporta la résolution de cette question au stade de l’adoption de la Convention par la conférence des représentants plénipotentiaires21. Le gouvernement israélien proposa alors l’introduction d’un nouvel article destiné à préciser les obligations des Etats fédéraux, proposition qui fit l’objet d’un amendement présenté par le gouvernement britannique afin d’insérer une obligation d’information sur les mesures prises par les entités fédérées (comme l’a souligné la délégation française par la suite, une telle obligation est de nature à assurer aux Etats unitaires la possibilité de mesurer leur engagement au regard du principe de réciprocité, et de leur éviter ainsi, par l’application de règles plus favorables, de devenir des destinations privilégiées pour les réfugiés22). Fut toutefois encore discutée la question de savoir s’il doit revenir à l’Etat partie de déterminer quel est le niveau compétent au regard de son organisation constitutionnelle pour la mise en œuvre de la Convention, jusqu’à ce qu’un consensus se forme autour de la proposition du Canada qui deviendra l’article 41.
En définitive, l’effet concret de l’article 41 de la Convention, ainsi que celui de l’article VI du Protocole, semble être très réduit : aucune manifestation d’application différenciée des obligations souscrites par les Etats fédéraux n’a été mise à jour par la doctrine23. En effet, comme l’avaient mentionné les représentants de la Suisse et de l’Allemagne lors des négociations, la compétence législative en matière de réfugiés appartient au seul pouvoir central dans nombre d’Etats non unitaires24. Même dans les Etats où la mise en œuvre de la Convention n’est pas centralisée, la dimension universelle de la Convention semble ainsi avoir été poursuivie de bonne foi par les autorités compétentes25.

 

1 SALMON, J. (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, pp. 183-184.

2 GIL-BAZO, M.-T., in ZIMMERMANN, A. (dir.), The 1951 Convention Relating to the Status of Refugees and its 1967 Protocol: a commentary, Oxford, New York, Oxford University Press, Collection Oxford commentaries on international law, 2011, p. 1592.

3 Voir en ce sens, SHABTAI, R., « United Nations treaty practice », Recueil des cours de l’académie de droit international, 1954, vol. 86, p. 375, note 3.

4 Sur ce postulat, voir KELSEN, H., General Theory of Law and State, Cambridge, Massachusetts, 1949, spéc. p. 323.

5 En ce sens, VISSCHER (DE), P., « Cours général de droit international public », Recueil des cours de l’académie de droit international, 1972, Vol. 136, p. 94.

6 Certains auteurs ont souligné que le Sénat des Etats-Unis avait développé une pratique consistant à intégrer, au moment de leur ratification, une clause fédérale dans les conventions soumises à son examen. Voir, SAVARIT, R., « Les traités internationaux dans la Constitution des Etats-Unis et la proposition d’amendement du sénateur Bricker », Revue internationale de droit comparé, 1955, Vol. 7, n° 1, pp. 140-141.

7 Voir sur la modification de la clause relative aux obligations des Etats fédératifs, voir MAUPAIN, F., « L’OIT, la justice sociale et la mondialisation », Recueil des cours de l’académie de droit international, 1999, Vol. 278, p. 253, note 91.

8 SHABTAI, R/, préc., p. 376. Voir également le Mémorandum sur l’obligation de soumettre les conventions et recommandations aux autorités compétentes : www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/ @ed_norm/@normes/documents/questionnaire/wcms_088471.pdf

9 SHABTAI, R., préc., p. 377.

10 BUERGENTHAL, T. cité in GROS ESPIELL, H., « La Convention américaine et la Convention européenne des droits de l’Homme : analyse comparative », Recueil des cours de l’académie de droit international, 1989, Vol. 218, p. 385. On note à cet égard que l’étude comme le recours à la clause fédérale sont généralement associés à ceux de la « clause coloniale », laquelle n’a évidemment plus vocation à être utilisée.

11 Voir en ce sens, DAILLER, P., FORTEAU, M., et PELLET, A., Droit international public, Paris, LGDJ, 2009, 8ème éd., p. 243 : « L’utilisation de cette clause est cependant devenue relativement rare du fait de la conjugaison de deux facteurs [...]. D’une part, elle est liée à des circonstances historiques particulières [dans lesquelles l’entité fédérale n’est pas suffisamment affermie pour pouvoir régler en interne les problèmes de compétences]. D’autre part, les Etats cocontractants se montrent souvent réticents à l’égard de la clause fédérale, qui amoindrit la portée de l’engagement pris par l’Etat fédéral ».

12 Comme nous le verrons ci-dessous, la clause de l’article 28 tend toutefois davantage à imposer le respect de la Convention malgré la forme fédérale de l’Etat :
 « 1. Le gouvernement central de tout Etat partie constitué en Etat fédéral se conformera à toutes les dispositions de la présente Convention concernant les matières qui relèvent de sa compétence dans le domaine législatif et dans le domaine judiciaire.
2. En ce qui concerne les prescriptions relatives aux matières qui sont du ressort des unités constitutives de la fédération, le gouvernement central prendra immédiatement les mesures pertinentes, conformément à sa Constitution et à ses lois, pour assurer que les autorités compétentes des dites unités adoptent les dispositions nécessaires à l’exécution de la présente Convention ».
3. Lorsque deux ou plus de deux Etats parties conviennent à l’avenir de former une fédération ou toute autre espèce d’association, ils veilleront à ce que la charte fondamentale du nouvel Etat ainsi constitué comporte les dispositions nécessaires pour assurer, sans discontinuité, l’observation des normes prévues dans la présente Convention ».

13 « Tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi ».

14 « Une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité. Cette règle est sans préjudice de l’art. 46 ».

15 Voir en ce sens, HOSTERT, J., « Droit international et droit interne dans la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 », Annuaire français de droit international, 1969, Vol. 15, n° 15, spé. pp. 118, et GROS-ESPILL, H., préc., p. 387.

16 GIL-BAZO, María-Teresa, préc., p. 1607.

17 CEDH, Gde Chbre, 8 avril 2004, Assanidzé c/Géorgie, pt. 141 : « Contrairement à la Convention américaine relative aux droits de l’homme du 22 novembre 1969 (article 28), la Convention européenne ne renferme aucune “clause fédérale” qui relativiserait les obligations de l’Etat fédéral s’agissant des faits survenus sur le territoire d’un Etat fédéré. De plus, la Géorgie n’est pas un Etat fédéral, de sorte que la RA d’Adjarie n’a pas la qualité d’Etat fédéré. Elle forme une entité qui, comme d’autres (la RA d’Abkhazie et, avant 1991, le district autonome d’Ossétie du Sud), doit jouir d’un statut d’autonomie (paragraphes 108-110 ci-dessus), ce qui est autre chose. Du reste, même si l’on inférait la présence dans la Convention européenne d’une clause fédérale tacite ayant un contenu semblable à celui de l’article 28 de la Convention américaine - ce qui est impossible -, pareil texte ne saurait être interprété comme exonérant l’Etat fédéral de toute responsabilité, puisqu’il exhorte cet Etat à “[prendre] immédiatement les mesures pertinentes, conformément à sa Constitution, (...) pour assurer que [les Etats fédérés] adoptent les dispositions nécessaires à l’exécution de la (...) Convention” ».

18 Voir à ce sujet,  GROS-ESPILL, H., préc., pp. 383 et s.

19 LABAYLE, H. et SUDRE, F., « Droit administratif et convention européenne des droits de l’homme », Revue française de droit administratif, 2005, p. 985.

20 Voir sur l’historique des négociations relatives à l’article 41, GIL-BAZO, M.-T., préc., pp. 1593-1604.

21 La discussion relative à la clause fédérale eut lieu lors des 30ème, 31ème et 35ème rencontres plénipotentiaires.

22 GIL-BAZO, M.-T., préc., p. 1597.

23 Voir en ce sens, GIL-BAZO, M.-T., préc., pp. 1605-1609 et 1613.

24 Voir également en ce sens, pour un Etat régional, le cas de l’Espagne : MARTIN RETORTILLO BAQUER, L., « La situation juridique du demandeur d’asile – Espagne », Revue française de droit administratif, 1993,  p. 557.

25 GIL-BAZO, M.-T., préc., pp. 1608-1609.


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  • Convention relating to the status of refugees : its history, contents and interpretation : a commentary

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