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Article 5

Droits accordés indépendamment de cette Convention

Aucune disposition de cette Convention ne porte atteinte aux autres droits et avantages accordés, indépendamment de cette Convention, aux réfugiés.

Commentaire

Auteur : Olivier Vidal, doctorant, CRDEI, Université de Bordeaux
Date de publication : Mars 2016

L'article 5 est relatif aux « droits et avantages accordés » aux réfugiés, indépendamment de ceux que leur confère la Convention de Genève du 28 juillet 1951. Cette disposition a connu une existence discrète. Comme le souligne un commentateur averti, l'article 5, après n'avoir suscité qu'une « limited discussion »1 au stade des travaux préparatoires, « has not attracted the attention of practice and scholarship »2 après l'entrée en vigueur de la Convention. La modestie apparente de la disposition est cependant un trompe-l’œil. L'Article 5 joue en effet une fonction cardinale, dans la mesure où il fait office de « passerelle » (I) entre la Convention genevoise et les autres régimes potentiellement applicables aux réfugiés (II)

I – Une disposition « passerelle » entre la Convention de Genève et les autres instruments pertinents pour les réfugiés


L'article 5 n'est pas la seule disposition de la Convention de Genève à avoir pour objet des ensembles normatifs qui lui sont distincts. La disposition est en général couplée, dans l'accomplissement de cette fonction, avec l'article 7, qui porte spécifiquement sur la dispense de la condition de réciprocité législative. L'objet de l’article 5 est cependant beaucoup plus large, dans la mesure où y est inscrit la règle fondamentale d’articulation entre, d'une part, les dispositions de la Convention de Genève, et d'autre part, l'ensemble des normes qui accordent aux réfugiés « d'autres droits et avantages ». Pour assurer cette fonction de pivot, la  disposition commentée établit un « effet cliquet », reposant sur un double mécanisme.
Le premier est celui d’une ouverture. L'article 5 prévoit qu'« aucune disposition » de la Convention ne saurait être interprétée comme faisant obstacle à ce que les réfugiés bénéficient d'« autres droits et avantages » qui leur seraient « indépendamment » accordés. En conséquence, la Convention permet que ses propres dispositions soient complétées par d’autres normes si elles s’avèrent plus favorables à la protection des réfugiées. Tout Etat partie invoquant la Convention de Genève pour les leur en retrancher se placerait, en revanche, en contrariété avec les termes de l'article 5. Le second mécanisme est celui d’une fermeture. Si les dispositions de la Convention de Genève ne peuvent entraver le bénéfice, au profit des réfugiés, d'« autres droits et avantages », elles continuent à lier en tout état de cause les Etats parties. Cela signifie que si ces derniers peuvent aller au delà de ce qui est prévu par la Convention de Genève, ils ne peuvent pas, en revanche, aller en deçà des garanties qu'elle accorde aux réfugiés.
La fonction de passerelle assumée par l'article 5 est d’autant plus cardinale qu'elle n'apporte aucune limitation quant aux normes accordant ces « autres droits et avantages ». Cette formulation elliptique présente l'avantage de couvrir un spectre très large de régimes juridiques, relevant à la fois des ordres internationaux, régionaux et internes. Plus encore, il est possible de voir dans l'article 5 le ressort d’une coordination dynamique entre la Convention genevoise et ces autres ensembles normatifs. La disposition commentée visait, initialement, à préserver les droits précédemment accordés aux réfugiés par les accords négociés sous l’égide de l'Organisation internationale des réfugiés3. Toutefois, l'article 5 fait aussi figure d’invitation au développement de régimes plus progressistes, parallèlement à celui établi par la Convention. Cette incitation, implicite, a laissé toute latitude aux Etats parties, dans la mesure où la Convention ne pose aucune obligation en ce sens, ni ne se prononce sur les modalités, formelles ou matérielles, qu’ils auraient à suivre‹ L'article 5 présente également une résonnance particulière dans le contexte de la fragmentation croissante du droit international. Le dispositif ouvert qu’il met en place permet d’assurer la coexistence et la complémentarité de la Convention avec des textes issus des autres branches du droit international public. Les individus entrant potentiellement dans la catégorie de réfugié peuvent ainsi bénéficier de droits et avantages prévus par les instruments relatifs aux droits de l'Homme ou au droit international humanitaire4.
Au sein de la diversité des régimes applicables aux réfugiés, les dispositions de la Convention de Genève font office de normes « planchers ». Elles sont un socle minimum, une base, autour de laquelle gravitent des règles ponctuellement plus protectrices. En ce sens, la Convention est davantage un point de départ qu’une fin en soi. Elle est l’amorce, par le truchement de l'article 5, d’une logique arborescente et agrégative, qui implique une série de régimes aux existences juridiques parallèles.

II – La diversités des « autres droits et avantages accordés » aux réfugiés


Les termes « autres droits et avantages » accordés aux réfugiés renvoient à des réalités normatives très variées. De manière quelque peu schématique, deux situations peuvent être distinguées. D'une part, les cas où des droits ou avantages sont conférés à des individus en vertu de leur statut de réfugié. D'autre part, les cas où des textes accordent des droits ou avantages à des individus indépendamment de leur statut de réfugié.
La première situation trouve des illustrations, au plan universel, avec les Conventions de droit international humanitaire. Celles-ci peuvent comporter des dispositions consacrées à des catégories très spécifiques de réfugiés étant en rapport avec leurs objets respectifs. Il en va ainsi, par exemple, de la Convention relative au droit des enfants du 20 novembre 1989, dont l’article 22 octroie des droits additionnels aux enfants réfugiés ou cherchant à obtenir ce statut5. Dans la même logique, le Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux accorde des garanties supplémentaires pour les personnes ayant bénéficié du statut de réfugié avant le début des hostilités6. A l’échelle régionale, la Convention de l’Organisation de l'Unité africaine régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique du 10 septembre 1969 présente également certains « avantages » par rapport à la Convention de Genève. La définition qu’elle donne du terme « réfugié » couvre, en particulier, un périmètre plus étendu que celui de l'instrument de 19517.
La seconde situation concerne les normes qui entrent en interaction avec les réfugiés, sans pour autant leur être exclusivement consacrées. Il en va ainsi, en premier lieu, des instruments relatifs aux droits de l'Homme. La Convention européenne des droits de l'Homme du 4 novembre 1950, sous l’influence de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, produit « des incidences importantes sur la protection des réfugiés »8. Est principalement en cause son article 3, relatif à l’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. La Cour européenne des droits de l'Homme s’est notamment appuyée sur cette disposition pour juger que les Etats parties ne pouvaient pas, sous peine d'inconventionnalité, expulser une personne déchue de sa qualité de réfugié vers un pays où elle risquait de subir un traitement inhumain ou dégradant. Cette interprétation de l’article 3 s’impose quand bien même la perte de la qualité de réfugié correspondrait aux motifs d'exclusion prévus par la Convention de Genève9. Il arrive en conséquence que certains arrêts rendus par la Cour « dépassent le niveau de protection accordée aux réfugiés par la Convention de Genève »10. L'institution juridique de l’asile, en second lieu, entretient une certaine proximité avec le statut de réfugié. La zone de contact intervient dans le cadre de « l'asile territorial », qui, comme le statut de réfugié, ne peut être accordé que sur le territoire de l'Etat d'accueil11. L'asile territorial repose, cependant, sur une base juridique clairement distincte de celle de la protection des réfugiés. En France, la Constitution prévoit que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République »12, alors que selon la loi fondamentale allemande « les persécutés politiques jouissent du droit d’asile »13. Le périmètre de cet asile « constitutionnel » varie en fonction des Etats, et recoupe parfois, sans se confondre avec lui, la catégorie de réfugié telle que définie par la Convention de Genève. En tout état de cause, les dispositions de la Convention ne sauraient faire obstacle, en raison de l’article 5, à ce qu'une personne pouvant potentiellement bénéficier du statut de réfugié profite de droits plus protecteurs en vertu de l’asile qui lui est accordé14.
Il faut noter, en dernier lieu, que des textes octroient des droits et avantages à des personnes se situant clairement au delà de la catégorie de réfugié au sens de la Convention de Genève. Ces régimes établissent une protection alternative au profit d'individus qui, insusceptibles de bénéficier du statut de réfugié, cherchent néanmoins la protection d'un Etat d’accueil. Un premier exemple est offert par l’asile dit « externe ou diplomatique », accordé par un Etat « dans des lieux qui sont en dehors de son territoire, mais relèvent de sa compétence »15. Ce type de protection extraterritoriale ne saurait recouper le statut de réfugié, dans la mesure où ce dernier n'est octroyé que sur le territoire de l'Etat d'accueil16. Un second exemple peut être pris dans la législation de l'Union européenne relative à la protection internationale accordée aux ressortissants de pays tiers ou apatrides. Le droit de l'Union a crée une « protection subsidiaire » qui ne peut explicitement bénéficier qu’aux personnes exclues de la catégorie de réfugié17. Cette protection subsidiaire vise à offrir un protection minimale dans les cas où le renvoi d’un individu vers son pays d’origine lui fait craindre des atteintes graves, telles que la peine de mort, la torture ou les traitements inhumains ou dégradants, ou des menaces graves contre sa vie en raison de conflits armés. Les deux exemples que nous venons de prendre, l'asile diplomatique et la protection subsidiaire, s’inscrivent à la périphérie de l'article 5, dans la mesure où ils ne recoupent à aucun moment le périmètre de la catégorie « réfugié ». Ils illustrent cependant l’existence de régimes de protection qui, sans s’appliquer immédiatement aux réfugiés, gravitent autour de lui.
Au final, l'article 5 fait de la Convention de Genève un instrument protecteur et ouvert. Protecteur, en ce qu'il permet d’assurer aux réfugiés le bénéfice du régime le plus favorable, tout en sanctuarisant les garanties qu'ils tirent de la Convention. Ouvert, en ce que la Convention de Genève s'inscrit dans une interrelation normative avec les instruments recoupant son champ de compétence, ou situés à sa marge. La disposition commentée contribue donc grandement à l'utilité et à la modernité de la Convention de Genève, par le dialogue qu'elle entretient avec les mouvements du droit positif.

1 A. Skordas, « Article 5 », in A. Zimmermann (dir.), The 1951 Convention Relating to the Status of Refugees and its 1967 Protocol: a commentary, Oxford, New York, Oxford University Press, Collection Oxford commentaries on international law, 2011, p. 674.

2 Ibid, p. 705.

3 Ibid, p. 698.

4 M. Bossuyt, « Les Incidences de la Convention européenne des droits de l’homme sur l'application de la Convention relative au statut des réfugiés », In : Avancées et confins actuels des droits de l’homme aux niveaux international, européen et national : mélanges offerts à Silvio Marcus Helmons, Bruxelles, Bruylant, 2003, pp. 11-28.

5 L'article 22 prévoit notamment que l’enfant réfugié, ou cherchant à obtenir ce statut, bénéficie des dispositions de la Convention relative au droit des enfants, et demande aux Etats parties de collaborer « pour rechercher les père et mère ou autres membres de la famille de tout enfant réfugié en vue d'obtenir les renseignements nécessaires pour le réunir à sa famille ».

6 Voir l’article 73 du Protocole.

7 La Convention de l’OUA reprend, à son article 1§1, la définition du terme « réfugié » telle qu'énoncée à l’article 1§2 de la Convention de Genève. Le §2 de la Convention africaine ajoute cependant que « le terme "réfugié", s'applique également à toute personne qui, du fait d'une agression, d'une occupation extérieure, d'une domination étrangère ou d'événements troublant gravement l'ordre public dans une partie ou dans la totalité de son pays d'origine ou du pays dont elle a la nationalité, est obligée de quitter sa résidence habituelle pour chercher refuge dans un autre endroit à l'extérieur de son pays d'origine ou du pays dont elle a la nationalité ».

8 M. Bossuyt, « Les incidences de la Convention européenne des droits de l'homme sur l'application de la Convention relative au statut des réfugiés », op. cit., p. 11.

9 Cour E.D.H., Arrêt du 17 décembre 1996, Affaire Ahmed c. Autriche, Requête n° 25964/94.

10 Ibid, p. 26.

11 Voir Salmon J., Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, Entrée « Asile (droit d'-), p. 94. L'asile territorial est largement admis par le droit international public, et est notamment consacré à l'article 14 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme du 18 décembre 1948.

12 Alinéa 4 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, insérée dans le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958.

13 Art. 16 a § 1 de la  Loi fondamentale pour la République fédérale d'Allemagne du 23 mai 1949.

14 Il existe, cependant, une forte tendance à l'alignement des régimes accordés aux réfugiés et aux bénéficiaires de l'asile. En France, le livre VII du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en définit le régime commun. En Allemagne, si les deux régimes convergent fortement, des différences marginales demeurent, voir A. Skordas, « Article 5 », op. cit., p. 689 et s., p. 694.

15 Salmon J., Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, Entrée « Asile (droit d'-), p. 94. L'asile externe, accordé au sein des locaux diplomatiques situé hors du territoire de l'Etat d'accueil, est par principe contraire au droit international. Il ne peut être licitement utilisé par un Etat que sur le fondement d'un titre conventionnel.

16 Voir Art. 1, A (2) de la Convention de Genève.

17 Article 2 f) de la Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection.


Ouvrages liés à l'article


  • Le droit des réfugiés: Entre droits de l'homme et gestion de l'immigration
  • The rights of refugees under international law
  • Convention relating to the status of refugees : its history, contents and interpretation : a commentary

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  • Article 5 1951 Convention
  • Les incidences de la Convention européenne des droits de l'homme sur l'application de la Convention relative au statut des réfugiés
  • La Convention de Genève de 1951 et le problème de la coordination des règles internationales visant les réfugiés

Jurisprudences liées à l'article


  • O. c. Italie

  • Saadi c. Italie

  • Ahmed c. Autriche

  • Chahal c. Royaume-Uni