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Article 6

L'expression "dans les mêmes circonstances"

Aux fins de cette Convention, les termes “dans les mêmes circonstances” impliquent que toutes les conditions (et notamment celles qui ont trait à la durée et aux conditions de séjour ou de résidence) que l’intéressé devrait remplir, pour pouvoir exercer le droit en question, s’il n’était pas un réfugié, doivent être remplies par lui à l’exception des conditions qui, en raison de leur nature, ne peuvent être remplies par un réfugié.

Commentaire

Auteur : Thomas Leclerc, doctorant, CRDEI, Université de Bordeaux
Date de publication : Mars 2016

Commenter l’article 6 de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés pourrait paraître anecdotique, puisqu’il s’agit d’interpréter un article dont la fonction se trouve être elle-même interprétative. Il ne paraît pourtant pas excessif de rappeler l’importance que revêt l’interprétation des textes juridiques, et donc des conventions internationales1, une importance d’ailleurs illustrée par le choix de l’inclusion d’une « clause interprétative » au sein même du dispositif de cette Convention de Genève. Loin de l’anecdote, tout cela semble donc renforcer l’importance d’une définition spécifique de l’expression « dans les mêmes circonstances », une expression ne pouvant être laissée à l’interprétation discrétionnaire des Etats contractants.
Les termes « dans les mêmes circonstances » se retrouvent en effet à de nombreuses reprises, et plus précisément dans huit articles de la Convention2, et toujours en relation avec les conditions devant être remplies par un étranger3. Eviter la répétition d’une définition, centrale face à l’enjeu d’une application « de bonne foi »4 de ces articles, a donc semblé primordial aux rédacteurs de la Convention de 1951.
L’objectif de ce commentaire sera alors d’identifier la nature de cet article 6 (I), avant d’analyser ses implications propres sur le statut des réfugiés (II). Il sera alors souligné que l’article 6 « attempts to find a balance between the general principle of assimilating refugees to other aliens and recognizing the specific circumstances and conditions distinguishing refugees from other aliens due to their special situation »5.

I. Identification de l’article 6

Au delà de la fonction interprétative de l’article 6 (A), évidente mais néanmoins essentielle à souligner, il s’agira de s’intéresser à la formulation ouverte de la définition attribuée à l’expression « dans les mêmes circonstances » (B).

A. Une fonction interprétative

Il s’agit d’identifier, en tout premier lieu, la nature même de l’article 6 de la Convention de 1951. Cet article ne contient aucune obligation, il n’est qu’un instrument pour l’interprétation de certaines dispositions de cette même Convention : « the function of Art. 6 was to provide a definition of a term for interpretation purposes, in order to avoid repetition of what the term implies in all cases where it is used »6. Cette fonction interprétative de l’article6 se comprend notamment par l’exception que cet article pose. Une interprétation littérale de l’expression « dans les mêmes circonstances », de part l’application stricte de l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités7,  n’aura donc pas été jugée satisfaisante. A l’inverse, il s’agirait plutôt de faire ici référence à l’article 31, paragraphe 4, de la Convention de Vienne sur le droit des traités, affirmant qu’ : « un terme sera entendu dans un sens particulier s’il est établi que telle était l’intention des parties »8.
A la première lecture de la Convention de Genève, l’on pourrait d’ailleurs, et raisonnablement, se demander pourquoi l’expression « dans les mêmes circonstances » se trouve être la seule expression, présente au sein du dispositif, nécessitant la présence d’un article spécifique à son interprétation9. Afin de répondre à cela, il sera rappelé que le traitement standard des réfugiées, exigé par cette même Convention de Genève, et plus précisément par l’application de son article 7(1), consiste en une assimilation aux statuts des étrangers spécifique à chaque Etat partie10. Il s’agit ainsi de constater l’existence d’un « baseline standard of treatment »11, cette norme minimale étant encadrée par la condition des « mêmes circonstances », obligeant une précision interprétative contraignante de cette expression.

B. Une formulation « ouverte »

Le constat d’une version originale de l’article contenant l’expression « same treatment (as) accorded to nationals »12, ajouté au constat de la suppression d’une telle expression dans la version finale de l’article, permettent tout d’abord de conclure que l’expression « dans les mêmes circonstances » ne s’adresse qu’aux cas d’assimilation à l’étranger. Force est d’ailleurs de le reconnaître, puisque s’il est vrai que l’article 6 ne le précise pas lui même, laissant présager une assimilation tantôt aux statuts des étrangers, tantôt au statut des nationaux, l’expression « dans les mêmes circonstances » ne se retrouve en définitive que dans les dispositions effectuant une assimilation aux étrangers13. La formulation de l’article 6, à première vue « ouverte », ne restera donc, sur ce point, qu’au statut des apparences.
Ce sera donc sur un autre aspect qu’il faudra rechercher la véritable ouverture effectuée par l’article 6. En effet, il devra être rappelé que certaines propositions14, allant dans le sens d’une compatibilité des circonstances seulement en terme de conditions de séjour, seront rejetées par le Comité Ad hoc en charge de la rédaction. Cela permettra d’assurer une certaine discrétion des Etats contractants quant à la précision des conditions devant être remplies par le réfugié15. Il s’agira donc bien, et en définitive, d’un « open-ended language »16, d’une formulation « ouverte », et ce bien que la discrétion des Etats contractants ne peut être considérée comme absolue17, mais nous entrons déjà ici dans l’analyse des implications de cet article 6.

II. Implications de l’article 6

La définition posée par l’article 6 permet de trouver un juste équilibre entre une assimilation complète aux étrangers (A), et une prise en compte des circonstances spécifiques à la condition des réfugiés, conditions ne leur permettant justement pas d’être totalement assimilés aux étrangers (B). L’objectif de l’article ne peut en effet qu’être appréhendé par son inscription dans les objectifs et buts de la Convention elle-même : attribuer aux réfugiés un traitement particulièrement favorable18.  

A. La règle générale du traitement identique

La règle générale du traitement identique se retrouve dans la première partie de l’article 6, exigeant une définition des termes « dans les mêmes circonstances » qui « impliquent que toutes les conditions (et notamment celles qui ont trait à la durée et aux conditions de séjour ou de résidence) que l’intéressé devrait remplir, pour pouvoir exercer le droit en question, s’il n’était pas un réfugié, doivent être remplies par lui »19. Pas de doute possible, cette première partie de l’article 6 vise bien « to assimilate refugees to aliens and nationals of other States in terms of treatment, concerning certain benefits and compliance with rules for the entitlement to benefits »20.
Cette assimilation s’effectue par l’intermédiaire des conditions à respecter pour l’exercice d’un droit, et notamment celles qui ont trait à la durée et aux conditions de séjour ou de résidence.  Cette précision a son importance, puisque comme le rappelait le représentant du Royaume-Uni au sein des travaux préparatoire à la Convention, « the all-important aspect was that refugees should fulfil the requirement as to sojourn or residence, since for the rest they would be granted the same treatment as aliens generally »21. La conséquence est donc immédiate : le réfugié se devra de remplir les conditions relatives à la durée et aux conditions de séjour ou de résidence spécifique de son pays « hôte » afin de se prévaloir du droit en question, à l’instar de tout étranger présent sur le territoire de cet Etat. Mais comme rappelé infra, la formulation reste « ouverte », permettant d’inclure dans l’expression « dans les mêmes circonstances » un large éventail de conditions : « in most countries certain rights are only granted to persons satisfying certain criteria, for example with regard to age, sex, health, nationality, education, training, experience, personal integrity, financial solvency, marital status, membership of a professional association or trade union, or residence, even length of residence within the country or in a particular place »22.

B. L’exception du traitement spécifique

S’en tenir à l’approche pour le moins restrictive de la première partie de l’article 6 n’aurait pas été satisfaisant. En effet, et justifiant ainsi l’existence de cette clause interprétative, « there may be some requirements which a refugee is unable to satisfy. He or she may be unable to produce a certificate of nationality, a document showing an examination passed in his or her country of origin or habitual residence, or a national passport »23. Or de telles conditions sont justement des conditions distinctes de celles relatives à la durée et aux conditions de séjour ou de résidence24.
Les rédacteurs de l’article 6 de la Convention de Genève n’auront pas été indifférent à de telles évidences, et s’empresseront ainsi d’affirmer que les conditions devant être remplies par le réfugié doivent être comprises à l’exception de celles « qui, en raison de leur nature, ne peuvent être remplies par un réfugié »25. Cet article constitue ainsi un outil précieux que le réfugié peut utiliser pour surmonter certains obstacles pratiques à la reconnaissance de ces droits. Il ne pourrait d’ailleurs qu’être rappelé ici l’urgence fréquente du départ des réfugiés de leur pays d’origine ou de résidence habituelle, et les liens souvent délicats que ces derniers maintiennent avec leur pays d’origine. Les conséquences pratiques de l’article 6 se trouveront ainsi dans l’adaptation, souvent logique, des conditions à respecter pour la reconnaissance d’un droit spécifique26. Signe de la logique même de cette exception à la règle générale du traitement identique, lors des travaux préparatoires, « the validity of this concern was endorsed without opposition »27. Il sera enfin utile de souligner que concernant les conditions, pourtant explicitement exigées, de la durée de séjour et de résidence, une certaine flexibilité semble avoir été préconisée. Cette flexibilité permettra d’assurer, et c’est bien là l’implication principale de la définition proposée par l’article 6 : « a fair balance between a general principle of assimilating refugees to other aliens (…) and the equal obvious need to render substantive justice to refugees in the application of those principle »28.

V. ici la section 3, relative à l’interprétation des traités, de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Convention de Vienne sur le droit des traités, 1969, Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 1155, Articles 31 à 33. La valeur coutumière de tels articles aura, à de nombreuses reprises, été soulignée par la doctrine et la jurisprudence, ce qui permet leur application aux traités entrés en vigueur avant même l’adoption de la Convention de Vienne, ce qui se trouve être le cas de la Convention relative au droit des réfugiés.

2  L’expression est employée dans les articles 13 (propriété mobilière et immobilière), 15 (droits d’association), 17 (professions salariées), 18 (professions non salariés), 19 (professions libérales), 21 (logement), 22 (éducation publique) et 26 (liberté de circulation). V. Convention relative au droit des réfugiés, Genève, 28 juillet 1951, Nations Unies,  Recueil des Traités , vol. 189, p. 137.

3 Cette assimilation au statut des étrangers se fera par l’intermédiaire de deux expressions différentes : le réfugié est parfois assimilé aux « ressortissants d’un pays étranger », parfois aux « étrangers en général ».

4 Il sera ici rappelé le principe pacta sunt servanda, norme coutumière fondamentale du droit international public : « tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi ». Convention de Vienne sur le droit des traités, 1969, Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 1155, Article 26.

5 ZIMMERMANN A. (dir.), The 1951 Convention Relating to the Status of Refugees and its 1967 Protocol: a commentary, Oxford, New York, Oxford University Press, Collection Oxford commentaries on international law, 2011, p. 708.

6 Ibid.

7 Convention de Vienne, préc., Article 31(1) : « Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but ».

8 Convention de Vienne, préc., Article 31(4).

9 L’exemple d’une autre expression pourrait en effet être donnée : celle de « résidence habituelle ». Cette expression se retrouve elle-même employée à de très nombreuses reprises au sein de la Convention, mais ne se trouve pourtant pas définie par l’intermédiaire d’une « clause interprétative ».

10 Convention de Genève, préc., Article 7(1): « Sous réserve des dispositions plus favorables prévues par cette Convention, tout Etat contractant accordera aux réfugiés le régime qu’il accorde aux étrangers en général ».

11 HATHAWAY J. C., The Rights of Refugees under International Law, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 2005, p. 205: « Most Convention rights that require implementation only at the baseline standard (…) are textually framed to require treatment as favourable as possible and, in any event not less favourable than that accorded to aliens generally in the same circumstances ».

12 GRAHL-MADSEN A., Commentary on the Refugee Convention 1951: Articles 2-11, 13-37, Published by the Division of International Protection of the United Nations High Commissioner for Refugees, 1997, p. 14: « The origin of this Article may be traced back to the Ad Hoc Committee. In its original version, it included also an explanation of the expression “same treatment [as] accorded to nationals,” but this was dropped by the Conference »..

13 Voir, infra.

14 Voir notamment la Proposition du président, Mr. Larsen of Denmark, UN Doc. E/AC.32/SR.36, Aug. 15, 1950, p. 9.

15 HATHAWAY, J. C., The rights of refugees under international law, préc., 2005, p. 206: « In line with the thinking of the Ad Hoc Committee, representatives to the Conference were not persuaded that states should have to judge the compatibility of a refugee’s situation on the basis solely of the condition of his or her sojourn or residence ».

16 Voir, Statement of Mr. Hoare of the United Kingdom, UN Doc. A/CONF.2/SR.3, July 3, 1951, p. 22. Pour une reprise de cette qualification, voir également ZIMMERMANN A. (dir.), The 1951 Convention Relating to the Status of Refugees and its 1967 Protocol: a commentary, préc., p. 710.

17 Voir, infra concernant l’exception du traitement spécifique.

18 Comme indiqué par le représentant Autrichien lors des travaux préparatoires à la Convention de Genève, « if it were to be posited that refugees should not have rights greater than those enjoyed by other aliens, the Convention seemed pointless, since its object was precisely to provide for specially favourable treatment to be accorded to refugees ». Statement of Mr. Fritlzer of Austria, UN Doc. A/CONF.2/SR.6, July 4, 1951, pp. 5-6.

19 Voir, Convention de Genève, préc., Article 6.

20 ZIMMERMANN A. (dir.), The 1951 Convention Relating to the Status of Refugees and its 1967 Protocol: a commentary, préc., p. 712. Comme le précise d’ailleurs Nehemiah Robinson, « the words “in the same circumstances” were introduced by the drafters of the Refugee Convention as a clarification of this “assimilation” because the treatment of foreigners or nationals need not necessarily be uniform but depends in many instances upon the special status of the person ». ROBINSON N., Convention relating to the status of refugees: its history, contents and interpretation : a commentary, New York, Institute of Jewish Affairs, 1952.

21 Conference of Plenipotentiaries, UN Doc. A/CONF.2/SR.34 (1951), p. 17. Voir ZIMMERMANN A. (dir.), The 1951 Convention Relating to the Status of Refugees and its 1967 Protocol: a commentary, préc., p. 710.

22 GRAHL-MADSEN A., Commentary on the Refugee Convention 1951: Articles 2-11, 13-37, préc., p. 14.

23 ZIMMERMANN A. (dir.), The 1951 Convention Relating to the Status of Refugees and its 1967 Protocol: a commentary, préc., p. 712.

24 Cette remarque permet d’ailleurs de s’interroger sur une simplification possible de cet article, par la limitation de l’interprétation de l’expression « dans les mêmes circonstances » aux conditions ayant trait à la durée et aux conditions de séjour, laissant aux Etats la discrétion, ou plutôt l’obligation, d’un traitement spécifique des réfugiés à l’égard de diverses autres conditions que ces derniers ne peuvent manifestement remplir au même titre que les étrangers.

25 Voir, Convention de Genève, préc., Article 6. A ce titre, « the major caveat to the prerogative granted states to define the basis upon which the compatibility of a refugee’s situation is to be assessed is the duty to exempt refugees to insurmountable requirements ». HATHAWAY J. C., The Rights of Refugees under International Law, préc., p. 207.

26 S’agissant de l’exemple du droit à l’exercice professionnel : « if for example the requirement for practising a certain profession is to have passed an enabling examination in the country of residence, the refugee must, like everybody else prove that he has passed that examination. But if the requirement is simply that one must have graduated from some reputable university and the refugee is unable to produce a certificate from the university in his or her country of origin where he or she graduated, he or she must be allowed to prove his or her possession of the required academic degree by other evidence than the normally required diploma ». GRAHL-MADSEN A., Commentary on the Refugee Convention 1951: Articles 2-11, 13-37, préc., p. 15.

27 HATHAWAY J. C., The Rights of Refugees under International Law, préc., p. 208.

28 Ibid.


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