Article 16
Droit d'ester en justice
1. Tout réfugié aura, sur le territoire des Etats contractants, libre et facile accès devant les tribunaux.
2. Dans l'Etat contractant où il a sa résidence habituelle, tout réfugié jouira du même traitement qu'un ressortissant en ce qui concerne l'accès aux tribunaux, y compris l'assistance judiciaire et l'exemption de la caution judicatum solvi.
3. Dans les Etats contractants autres que celui où il a sa résidence habituelle, et en ce qui concerne les questions visées au paragraphe 2, tout réfugié jouira du même traitement qu'un national du pays dans lequel il a sa résidence habituelle.
Commentaire
Auteur : Cyrielle Cassan, doctorante, CRDEI, Université de Bordeaux
Date de publication : Mars 2016
Protéger la capacité des réfugiés d’ester en justice n’est pas une idée nouvelle. Divers instruments internationaux1, dont s’inspire la Convention de 1951 et qu’elle remplace, ont mis en avant cette nécessité. En effet, les réfugiés ne disposent pas des protections traditionnelles (diplomatiques ou consulaires) de leur pays d’origine contrairement aux autres étrangers2. De plus, certains gouvernements pourraient vouloir restreindre l’accès aux tribunaux nationaux pour les réfugiés, que ce soit par la pratique3 ou par le droit4. Or, les tribunaux des pays hôtes apparaissent précisément comme le moyen pour les réfugiés de faire valoir et respecter les droits substantiels qu’ils tirent de la Convention. Ainsi, ce droit procédural est indispensable pour assurer l’effectivité du système de protection des réfugiés tel qu’établi par la Convention. L’article 16, visant à assurer l’effectivité pratique du droit d’accès aux tribunaux, contient respectivement dans son premier paragraphe une garantie générale (1.) et dans les suivants des dispositions plus spécifiques (2.).
I- La garantie générale d’accès aux tribunaux de l’article 16 §1
Cette garantie posée par l’article 16 §1 est doté d’un large champ d’application (1.1.) et permet d’établir un standard absolu de protection en la matière (1.2.).
A- L’applicabilité de l’article 16 §1
L’article 16 §1 est applicable à « tout réfugié ». Il faut et il suffit donc de remplir les conditions posées par l’article 1er de la convention pour que cette disposition soit applicable ratione personae. Sont aussi bien visées les personnes reconnues officiellement réfugiées par un Etat contractant que toutes celles pouvant prétendre à cette qualité5.
Aucune condition de résidence n’est exigée. Cet article s’applique également aux réfugiés qui ne résident pas dans un Etat contractant ou qui n’ont pas encore de résidence habituelle dans celui-ci. La présence physique sur le territoire de l’Etat contractant n’est pas pris en compte.
De plus, le droit d’ester en justice n’est pas limité aux tribunaux de l’Etat dans lequel se trouve le réfugié, mais s’étend aux tribunaux présents « sur le territoire des Etats Contractants ».
Conformément à l’article 42 §1 de la Convention, il n’est pas possible d’émettre de réserve sur l’article 16 §1.
B- La protection générale accordée par l’article 16 §1
L’article 16 §1 permet au réfugié d’obtenir un « libre et facile accès devant les tribunaux ». Il s’applique seulement aux tribunaux et non à des entités administratives6. Cette disposition générale n’implique pas l’établissement de voie de recours spécifique, mais simplement la possibilité pour les réfugiés d’avoir accès aux tribunaux nationaux sans entrave à chaque fois que ces derniers sont compétents pour un litige donné. Cela peut donc conduire à une situation paradoxale ; cette disposition garantissant un standard absolu de traitement peut ainsi permettre à des réfugiés d’être mieux traités que les nationaux dans l’hypothèse où un Etat partie à la Convention ne garantirait pas à ses propres nationaux un libre accès aux tribunaux7.
Ainsi, le droit d’ester en justice ne se limite pas à aux problèmes de détermination de statut de réfugié ou de conflits en matière civile entre personnes privées, mais concerne tout type de contentieux juridictionnel. La modification du titre de l’article 16 durant le processus de rédaction indique en effet la volonté des rédacteurs de ne pas se limiter à un droit spécifique de « poursuivre et être poursuivi » ou « de comparaitre devant les tribunaux comme demandeur ou défendeur »8, adoptant l’acception plus large de « droit d’ester en justice »9. De ce fait, les Etats contractants laissant en pratique les réfugiés se faire justice entre eux au lieu de leur permettre d’effectuer des recours devant les juridictions nationales violent manifestement cette disposition de la Convention10.
L’accès doit être « libre et facile ». Tout d’abord, cela ne signifie pas la gratuité pour le réfugié. Cette intention des rédacteurs est mise en évidence par la version anglaise de la Convention, puisqu’elle n’est pas la traduction littérale de la version française « libre et facile accès », se limitant à indiquer seulement que le réfugié doit avoir un « free access »11 aux tribunaux. Les Etats contractants peuvent donc faire payer des frais de justice aux réfugiés, dans la mesure où ces frais ne sont pas plus élevés que ceux que paierait un national dans une situation analogue12 et ne doivent pas chercher à entraver les recours des réfugiés par ce moyen13. Aucune restriction du fait de leur statut de réfugié ne peut leur être opposée.
II- Les garanties spécifiques d’effectivité du droit d’ester en justice de l’article 16 §2 et §3
Les garanties spécifiques posées par les paragraphes 2 et 3 de l’article 16 ont un champ d’application plus précis (A) et concernent des garanties plus spécifiques pour les réfugiés ayant une résidence habituelle dans un Etat partie à la Convention (B).
A- L’applicabilité de l’article 16 §2 et §3
Conformément à l’article 42 de la Convention, les Etats parties à la Convention peuvent émettre des réserves sur l’article 16 §2 et §3, ce qu’ont fait la Chine, le Timor oriental et l’Ouganda.
A l’instar du premier paragraphe, ces dispositions s’appliquent à quiconque remplit les conditions de l’article 1 de la Convention. Ne sont pas seulement visées les personnes reconnues officiellement comme réfugié par un Etat contractant, mais toutes celles qui peuvent y prétendre. Sur l’applicabilité du paragraphe 3, c’est-à-dire dans les situations impliquant au moins deux Etats parties, la question, depuis tranchée positivement par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés14, se posait de savoir si la reconnaissance du statut de réfugié par l’Etat de résidence habituelle obligeait également l’autre Etat.
Ces paragraphes requièrent, au contraire du premier, une résidence habituelle du réfugié dans un Etat partie à la Convention15. Les rédacteurs de la Convention ont rejeté la proposition selon laquelle le bénéfice des droits accordés par l’article 16 §2 et §3 serait limité sur la base du domicile ou de la résidence régulière ; au contraire, ils ont opté pour la formulation « résidence habituelle »16. Il n’est pas demandé au réfugié d’avoir un domicile ou une résidence régulière dans un Etat partie à la Convention, ce qui aurait vidé de son sens la protection accordée par l’article 16 §2 et §3. Ainsi, le bénéfice des droits accordés par cette disposition ne dépend pas de la reconnaissance officielle du statut de réfugié. Par exemple, un système national qui ne permettrait pas aux réfugiés présents habituellement sur son sol de bénéficier d’une protection juridique ou de les dispenser de payer la cautio judicatum solvi, limitant le bénéfice de cette disposition de la Convention aux seuls réfugiés reconnus comme tels par le droit de l’Etat, violerait la Convention.
Une difficulté peut se poser vis-à-vis des « réfugiés en orbite », où aucun Etat contractant ne se reconnait comme étant celui de la résidence habituelle du réfugié. Ce point est essentiel, concernant les réfugiés qui sont renvoyés de pays en pays, puisqu’une telle situation ne doit pas les priver de l’effectivité des droits qu’ils tirent de la Convention. Selon la doctrine, il faut faire une interprétation raisonnable de cet article, et estimer que le pays de résidence habituelle est celui où séjourne de facto le réfugié17.
B- La protection spécifique accordée par l’article 16 §2 et §3
La protection accordée par l’article 16 §2 et §3 est plus traditionnelle que celle absolue du premier paragraphe. En effet, elle constitue une approche classique sous forme d’égalité de traitement des réfugiés par rapport à d’autres groupes identifiés, comme les nationaux de l’Etat partie à la Convention où le réfugié a sa résidence habituelle (§2) ou comme les nationaux d’un Etat partie à la Convention autre que celui où le réfugié à sa résidence habituelle (§3)18. Dans leur Etat de résidence habituelle, le réfugié bénéficiera des mêmes moyens pratiques que les nationaux du pays hôte ; dans un Etat partie autre, le réfugié sera assimilé aux nationaux de son pays hôte. Cela signifie qu’un Etat partie qui ne fournirait pas d’assistance judiciaire à ses propres nationaux (§2) ou aux nationaux des autres Etats parties à la Convention (§3) n’est pas obligé d’en proposer aux réfugiés.
Cette égalité de traitement entre réfugiés et nationaux doit permettre l’effectivité du droit d’ester en justice19. Bien que les obligations renforcées de ces deux paragraphes soient de portée générale20, il n’en demeure pas moins que la Convention fait explicitement référence à « l’assistance judiciaire et [à] l’exemption de la caution judicatum solvi », qui, si elles sont absentes, constituent ou ont pu constituer21 des obstacles quasi insurmontables pour tout réfugié qui voudrait ester en justice.
1 On peut citer à ce titre l’arrangement relatif au statut juridique des réfugiés russes et arméniens, signé à Genève le 30 juin 1928, qui prévoit en son paragraphe 5 que « il est recommandé que le bénéfice de l’assistance judiciaire et si possible de l’exemption de la cautio judicatum solvi soit accordé aux réfugiés Russes et Arméniens, indépendamment de la condition de réciprocité » ; ou bien encore les Conventions du 28 octobre 1933 et du 10 février 1938, dont les dispositions en la matière sont en grande partie similaires avec les paragraphes 1 et 2 de l’article 16 de la Convention de 1951.
2 Contrairement à ce qui se passait avant la deuxième Guerre Mondiale avec les différents Hauts Commissaires nommés par la Société des Nations, le Haut-Commissariat des Nations Unies (UNHCR) pour les réfugiés n’a reçu pas mandat pour fournir aux réfugiés une assistance consulaire. Voir HATHAWAY, J.C., The rights of refugees under international law, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 2005, pp. 626
3 Le camp de Kakuma au Kenya constitue à ce titre un exemple topique. Quand bien même le camp se situe sur le territoire Kenyan et est en théorie soumis aux lois Kenyanes, les autorités Kényanes ont laissé aux réfugiés la possibilité d’administrer leur propre « justice », qui inclue des peines telles la flagellation, et qui ne dispose pas de voie de droit pour en contester les abus. Voir HATHAWAY, J. C., The rights of refugees under international law, op. cit., p. 629
4 En Ouganda, quand bien même la Constitution prévoit formellement l’accès aux tribunaux nationaux à tous, la loi sur le contrôle des réfugiés permet aux autorités d’une manière totalement discrétionnaire, de déplacer ou refouler les réfugiés, sans possibilité pour ces derniers de contester en justice une telle décision. Ibidem.
5 « Anyone who fulfils the definition is thereby automatically a ‘refugee’: ‘Recognition of his refugee status does not therefore make him a refugee but declares him to be one. He doies not become a refugee because of recognition, but is recognised because he is a refugee’ », BOELES, P., « Effective legal remedies for asylum seekers according to the Convention of Geneva 1951 », Netherlands international law review, 1996, Vol. 43, n° 3, p. 295
6 Cette interprétation est renforcée par la présence de l’article 32 de la Convention, sur l’expulsion, qui permet au réfugié d’effectuer un recours contre une décision d’expulsion « devant une autorité compétente », ce qui est une acception plus large que « tribunaux ».
7 ZIMMERMANN, A. (dir.), The 1951 Convention Relating to the Status of Refugees and its 1967 Protocol: a commentary, Oxford, New York, Oxford University Press, Collection Oxford commentaries on international law, 2011, p. 936
8 « To sue or to be sued » et « the right to appear before the courts as plaintiff or defendant » dans la version anglaise. Voir ZIMMERMANN, A.(dir.), The 1951 Convention Relating to the Status of Refugees and its 1967 Protocol: a commentary, Oxford, New York, Oxford University Press, Collection Oxford commentaries on international law, 2011, p. 935 et p. 939
9 « Access to Courts » dans la version anglaise de la Convention.
10 ZIMMERMANN, Andreas (dir.), The 1951 Convention Relating to the Status of Refugees and its 1967 Protocol: a commentary, Oxford, New York, Oxford University Press, Collection Oxford commentaries on international law, 2011, p. 939
11 En langue anglaise, les termes « ready » et « free » peuvent être utilisés comme synonymes quand ils sont utilisés seuls ; utilisés conjointement, « free » prend le sens de gratuit, sans charge ou sans frais. HATHAWAY, James C., The rights of refugees under international law, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 2005, p. 646
12 Conformément à l’article 29 de la Convention.
13 Le maintien de la terminologie « libre et facile accès » en langue française met en évidence la nécessité d’effectivité d’un tel droit. HATHAWAY, James C., The rights of refugees under international law, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 2005, p. 646
14 « Where a refugee seeks to exercise these various rights in a country other than the one in which is normally resident, it is only reasonable to assume that hem ay do so on the basis of the determination of his refugee status by the Contracting State in which he is normally resident ». UNHCR, Note on the Extraterritorial Effect of the Determination of Refugee Status, 1978, cité par ZIMMERMANN, A. (dir.), The 1951 Convention Relating to the Status of Refugees and its 1967 Protocol: a commentary, Oxford, New York, Oxford University Press, Collection Oxford commentaries on international law, 2011, p. 943.
15 Exigence que l’on retrouve également pour l’article 14 de la Convention.
16 Selon la déclaration de Sir Leslie Brass, du Royaume-Uni, cité par HATHAWAY, J. C., The rights of refugees under international law, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 2005, p. 909.
17 BOELES, P., « Effective legal remedies for asylum seekers according to the Convention of Geneva 1951 », Netherlands international law review, 1996, Vol. 43, n° 3, p. 302
18 Ces standards sont très proches de ceux établis par l’article 14 de la Convention.
19 Le paragraphe 3 reprend le contenu des droits protégés dans le paragraphe 2.
20 « Même traitement qu’un ressortissant en ce qui concerne l’accès aux tribunaux ».
21 La caution judicatum solvi renvoie à la caution que doit « fournir, sauf exception, tout étranger demandeur devant une juridiction [nationale], pour garantir le paiement des frais et dommages-intérêts auxquels il pourrait être condamné ». CORNU G., Vocabulaire juridique, Paris, Presses universitaires de France, 9e éd., 2011. Néanmoins, la caution judicatum solvi est de moins en moins requise ; elle a disparu en France et en Belgique notamment.
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