Article 17
Professions salariées
1. Les Etats contractants accorderont à tout réfugié résidant régulièrement sur leur territoire le traitement le plus favorable accordé, dans les mêmes circonstances, aux ressortissants d'un pays étranger en ce qui concerne l'exercice d'une activité professionnelle salariée.
2. En tout cas, les mesures restrictives imposées aux étrangers ou à l'emploi d'étrangers pour la protection du marché national du travail ne seront pas applicables aux réfugiés qui en étaient déjà dispensés à la date de l'entrée en vigueur de cette Convention par l'Etat contractant intéressé, ou qui remplissent l'une des conditions suivantes:
a) compter trois ans de résidence dans le pays;
b) avoir pour conjoint une personne possédant la nationalité du pays de résidence. Un réfugié ne pourrait invoquer le bénéfice de cette disposition au cas où il aurait abandonné son conjoint;
c) avoir un ou plusieurs enfants possédant la nationalité du pays de résidence.
3. Les Etats contractants envisageront avec bienveillance l'adoption de mesures tendant à assimiler les droits de tous les réfugiés en ce qui concerne l'exercice des professions salariées à ceux de leurs nationaux et ce, notamment pour les réfugiés qui sont entrés sur leur territoire en application d'un programme de recrutement de la main-d’œuvre ou d'un plan d'immigration.
Commentaire
Auteur : Florence Aubry-Caillaud, Maître de Conférences HDR, Université de Bordeaux
Date de publication : Mars 2016
En consacrant un chapitre aux emplois lucratifs, la convention de Genève de 1951 a reconnu explicitement, en son article 17, le droit, pour tout réfugié, d’exercer une activité salariée. Pour autant, la question n’était pas totalement nouvelle pour la Communauté internationale dont les premières actions, en la matière, remontent au milieu des années 1920. C’est suite à la première guerre mondiale1, que la SDN a commencé à se préoccuper de la situation professionnelle des réfugiés, prévoyant notamment la mise en place d’Offices de réfugiés et des engagements internationaux2. On peut ainsi citer l’Arrangement du 28 juin 1928 selon lequel il était demandé aux États de ne pas traiter les réfugiés russes et arméniens comme des étrangers ; et donc de ne pas leur appliquer les restrictions concernant habituellement la main d’œuvre étrangère. Par la suite, la Convention de 1933 stipula, en son article 7, que les restrictions devaient être levées pour les réfugiés, remplissant certaines conditions. Le moins que l’on puisse dire c’est que l’application de ces accords n’a pas été à la hauteur des espérances, du fait de la crise des années 1930, comme le montre l’exemple français. A cet égard, on relèvera que la France a adopté, en 1936, une loi prévoyant que les réfugiés seront soumis au même régime que les autres étrangers.
Le contexte de la signature de la convention de Genève était-il plus favorable ? On peut en douter. Résultat d’âpres négociations, l’article 17 a, en effet, suscité de nombreuses réticences de la part des signataires3, entre autre mais pas seulement, de la part de la France4. On peut prendre l’exemple de certains pays de l’Europe du Nord5, le Brésil, le Portugal, la Grèce, le Brésil, le Venezuela, le Zimbabwe. Ces États ont, alors, expliqué leur position par la situation du marché du travail. Pour ce qui concerne la France, on relèvera que, face à l’afflux de réfugiés à la fin de la seconde guerre mondiale, le ministre du Travail exigea que la reconnaissance du statut de réfugiés soit appliquée plus strictement6. C’est donc, dans ce même état d’esprit, qu’il a négocié le contenu de la Convention et a cherché à imposer son point de vue, sans y parvenir totalement.
Finalement, tel qu’il a été adopté, l’article 17 confère un droit d’accès à un emploi salarié ; et ce notamment en garantissant l’application de la clause de la nation la plus favorisée (article 17 §1). Et si certains réfugiés bénéficient d’un régime plus favorable (article 17 §2), les signataires de la Convention ne sont pas allés jusqu’à imposer une égalité d’accès entre les réfugiés et les nationaux et/ou une assimilation des réfugiés aux nationaux. De ce point de vue, il convient de relever que l’article 17 paragraphe 3 se contente de recommander fortement aux États d’adopter des mesures afin de rapprocher la situation des réfugiés de celles des nationaux.
Souvent perçue comme une source de droits, la convention de Genève sur les réfugiés a aussi su préserver la souveraineté des États7. L’article 17 concernant l’accès des réfugiés à l’emploi salarié en est l’illustration parfaite (I). Dès lors, il convient de s’interroger sur la réception et l’application de cet article par les États signataires. A cet égard, et même si une étude exhaustive n’est pas envisageable, il est incontestable que le droit des réfugiés a exercé une activité professionnelle salariée est à géométrie variable (II).
I – L’exercice d’une activité salariée : à la recherche d’un équilibre entre reconnaissance d’un droit et préservation de la souveraineté
Contrairement à d’autres droits et libertés8, la clause d’assimilation au national ne s’applique pas au droit d’accès à un emploi salarié. En la matière, les auteurs de la Convention ont, au contraire, opté pour la clause de la nation la plus favorisée, et la voie de la recommandation (A). Cette marge de manœuvre laissée aux États leur a permis de développer des protections complémentaires (B)
A – Le recours à la clause de la nation la plus favorisée
Conformément au paragraphe 1 de l’article 17, tout réfugié doit bénéficier du traitement le plus favorable accordé aux étrangers. Principe fondamental du droit international classique, la clause de la nation la plus favorisée est ici entendue de manière classique. Certains réfugiés sont susceptibles de bénéficier de dispositions plus favorables. Le paragraphe 2 précise, en effet, que les dispositions restrictives concernant l’accès des étrangers à un emploi salarié ne doivent pas s’appliquer aux réfugiés si ces derniers se trouvent dans le pays d’accueil depuis plus de trois ans, s’ils sont mariés à une citoyenne du pays d’accueil ou si leurs enfants possèdent la nationalité du pays d’accueil. Malgré tout, l’application de la clause de l’assimilation des réfugiés au national n’est pas totalement passée sous silence. Le paragraphe 3 de l’article 17 invite les États à adopter des mesures en ce sens, mais il ne constitue qu’une recommandation et n’a donc pas la force d’une obligation.
B – Article 17 et protections complémentaires : quelle articulation ?
La convention de Genève n’a pas le monopole de la protection des réfugiés, et ce quelle que soit la nature du droit protégé. Le droit à l’exercice d’une activité salariée n’échappe pas à ce constat. La plupart des États membres ont, en effet, en la matière, adopté des protections complémentaires, parfois même des protections temporaires. On peut y voir une manifestation de la préservation de la souveraineté qui sous-tend la convention de Genève.
L’existence de ces protections pose la question de leur articulation avec les droits accordés par la convention de Genève9, dans la mesure où elles priment le plus souvent sur la convention de Genève10. Davantage encore, les droits alors octroyés sont ni équivalents, ni plus favorables que ceux institués par la convention. Dès lors, le droit à l’accès à l’emploi de l’article 17 n’est accordé qu’à l’issue d’une période d’attente.
On peut prendre l’exemple d’un certain nombre d’États européens qui ont étendu le droit au travail accordé aux réfugiés, en vertu de la convention de Genève, à d’autres catégories ; tant et si bien que le réfugié ne bénéficie pas d’un traitement de faveur quant à l’accès à un emploi. Ainsi, la Suède a prévu un statut particulier pour des étrangers nécessitant une protection et leur accorde le même droit au travail que les réfugiés. De même, le Royaume-Uni accorde la possibilité d’une admission exceptionnelle au séjour ou Exceptional leave to remain ELPR et qui permet aux étrangers concernés de bénéficier de l’accès à l’emploi. Quant à la France, elle a reconnu aux demandeurs menacés pour leur vie, leur liberté ou exposés à des risques de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, la possibilité d’obtenir une carte de séjour, valable 1 an, et qui ouvre le droit de travailler. L’Allemagne a, elle, opté pour un « statut de tolérance » valable sur le territoire d’un Land. Par conséquent, le droit à l’accès à un emploi dépend du Land concerné. On relèvera que si ce statut de tolérance existe également au Luxembourg, il ne donne pas le droit d’exercer un emploi.
Le conflit de l’ex-Yougoslavie a conduit au développement d’un autre type de protection : la protection temporaire accordée en cas d’urgence. Cette protection donne, dans un certain nombre de cas, la possibilité à ses bénéficiaires d’exercer un emploi. Ce fut le cas en Allemagne, mais aussi en France. L’Italie a également octroyé cette possibilité aux somaliens, aux Albanais du Kosovo et à certains Kurdes.
L’existence de ces protections complémentaires reflète l’attitude des États quant à la réception, par les droits internes, du droit conféré par l’article 17. Globalement, l’application de l’article 17 varie considérablement, tant dans le temps que dans l’espace.
II – Le droit à l’exercice d’une profession salariée : une application à géométrie variable
Un certain nombre de réserves ont été formulées lors de la signature de la convention de Genève, à propos du droit à l’exercice d’une activité salariée conféré par l’article 17. Pour autant, selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, la formulation ou l’absence de formulation de telles réserves n’est pas significatif dans la mesure où certains États, bien qu’ayant formulé à l’origine des réserves, ont accordé finalement des régimes favorables11 ; l’inverse étant également vrai. Incontestablement, et malgré l’existence de programmes d’assistance, le bilan de la mise en œuvre de l’article 17 est contrasté même s’il est significatif (A) ; la France étant, quant à elle, restée longtemps réticente (B).
A – Un bilan contrasté mais significatif
Naturellement, il n’est pas possible de dresser un tableau de l’ensemble des difficultés auxquelles ont été confrontés les États pour ce qui concerne la mise en œuvre de l’article 17. Le moins que l’on puisse dire c’est que les situations sont très disparates. Quelques exemples peuvent être pris pour illustrer ce constat.
Certains États12, comme le Royaume-Uni, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Suède et l’Autriche, ont opté pour le principe de l’assimilation des réfugiés aux nationaux. Il convient, cependant, de remarquer que la situation diffère dans chacun de ces pays. En effet, si le Royaume-Uni a donné son plein effet à l’article 17, il a fait de la prolongation de résidence une condition de non application de dispositions restrictives. Quant à l’Autriche, elle a considéré l’article 17 comme une recommandation, qu’elle a finalement suivie. Bien qu’ayant émis une réserve, l’Italie a adopté, respectivement en 196313 et 196814, des circulaires qui ont permis une application très satisfaisante de l’article 17. De même, selon une circulaire belge, des permis de travail d’une durée illimitée doivent être accordés aux réfugiés, indépendamment de la situation de l’emploi15.
D’autres États accordent, aux réfugiés, le bénéfice de la clause de la nation la plus favorisée, tout en précisant que ces réfugiés doivent obtenir une autorisation d’exercice. Ainsi, au Niger, selon les textes, « les réfugiés, ont le même droit d’exercice d’une activité professionnelle salarié ou non salariée, que les ressortissants du pays qui conclut avec le Niger la convention la plus favorable. Toutefois, ils sont astreints à l’autorisation d’exercice préalable »16.
Certains États sont allés jusqu’à renverser la signification de la disposition qui se réfère au traitement maximum le plus favorable (celui de la nation la plus favorisée) et n’ont consenti à accorder que le standard minimum applicable aux étrangers en général17.
Année après année, la situation s’est améliorée, comme le montrent les rapports annuels du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés. Les difficultés qui demeurent, proviennent essentiellement du caractère limité ou du développement socio économique des pays d’accueil. Ce constat a conduit le HCR à mettre en place des programmes d’assistance qui, s’ils comportent de nombreuses aides à l’installation, ont aussi eu pour but de favoriser la création d’emplois salariés accessibles aux réfugiés.
B – La réticence française
Dans un premier temps, en effet, la France a considérablement atténué les possibilités offertes par l’article 17 de la Convention de Genève, tant et si bien que ce dernier est quasiment resté lettre morte. Cette situation s’explique notamment par le fait que, pendant de nombreuses années, aucun texte législatif n’a été adopté18 ; les conditions d’application des dispositions conventionnelles n’ont donc pu voir le jour. C’est par voie de circulaires que les conditions d’exercice d’une activité salariée par les réfugiés étaient fixées. Or ces conditions étaient les mêmes que celles des étrangers. A cet égard, à propos d’un décret du 21 novembre 197519, relatif aux autorisations de travail délivrées aux travailleurs étrangers, le juge indiqua qu’il n’a eu ni pour objet, ni pour effet d’exclure les réfugiés du bénéfice de la clause du traitement le plus favorable20. Pourtant la France octroyait, à l’époque, un régime plus favorable aux étrangers du Laos, du Congo et du Gabon, pour ne prendre que quelques exemples ; puis aux ressortissants de la Communauté européenne, à compter de l’adoption du règlement 1612/6821. Il faut finalement attendre le milieu des années 1980 pour que la situation évolue, et que les exigences de l’article 17 soient remplies22. Un premier pas est franchi par l’adoption de la loi du 17 octobre 198123 qui les dispense d’autorisation de travail. Celle du 17 juillet 198424 prévoit, quant à elle, la délivrance de plein droit aux réfugiés d’une carte de résident. En effet, au-delà de l’autorisation de séjour, la carte de résident confère à son détenteur une autorisation de travail, et donc l’accès à une profession salariée. Dans une affaire Office national d’immigration du 3 octobre 199025 , en considérant qu’une décision de l’office français de protection des réfugiés et apatrides reconnaissant à un étranger la qualité de réfugié, lui confère aussi le droit d’obtenir une carte de résident en France, et, donc le droit d’exercer la profession de son choix, le Conseil d’État a admis que la qualité de réfugié confère automatiquement un titre de travail. En confortant les avancées textuelles, cette position du juge semble mettre, définitivement, fin aux réticences françaises initiales.
1 Et ce alors même qu'il y a un fort besoin de main d’œuvre.
2 La SDN a aussi chargé ses représentants de procéder à l’authentification des documents professionnels détenus par les réfugiés et parmi lesquels on trouve les certificats professionnels.
3 Ces réticences ont d’ailleurs conduit les États à émettre différents types de réserves. Sur ce point, voir infra.
4 L’ordonnance de 1945, alors en vigueur, n’établissait pas de distinction entre les réfugiés et les étrangers ; tant et si bien que, comme les étrangers, les réfugiés devaient être autorisés à travailler. Ils subissaient ainsi pleinement les fluctuations du marché du travail. Voir ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et portant création de l'office national d'immigration ; JORF du 4 novembre 1945.
5 Comme par exemple la Norvège, la Suède, le Danemark ou encore la Finlande et l’Irlande.
6 Voir en ce sens circulaire du 3 décembre 1948.
7 La convention de Genève invite les États à développer et à enrichir le statut de réfugié tant et si bien que les protections accordées peuvent considérablement varier. Voir en ce sens, ALLAND D. et TEITGEN-COLLY C., Traité du droit de l’asile, PUF, 2002.
8 On peut notamment citer la liberté religieuse, la protection de la propriété industrielle et artistique, le droit d’enseignement primaire et de la législation du travail et de la sécurité sociale.
9 Voir ALLAND D. et TEITGEN-COLLY C., Traité du droit de l’asile, PUF, 2002, op. cit.
10 Et ce même si l’Union européenne s’est prononcée en faveur du statut subsidiaire de ces protections complémentaires qui ne doivent pas remettre en cause l’application pleine et entière de la convention de Genève.
11 Voir notamment, en ce sens Rapport du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, A/41/12, Rapports annuels, 1er août 1986.
12 Concernant l’attitude française, voir infra.
13 Voir Rapport du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, 1964.
14 Voir COLELLA A., « Les réserves à la Convention de Genève (28 juillet 1951) et au Protocole de New York (31 janvier 1967) sur le statut des réfugiés », Annuaire français de droit international, volume 35, 1989.
15 Voir Rapport du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, 1964.
16 Voir UNCCR www.unhcr.fr/cgi-bin/texis
17 Finlande, Liechtenstein, Zambia, Zimbabwe, Irlande.
18 Et ce sous la pression du ministre du Travail.
19 Décret n° 75-1088 du 21 novembre 1975 pris pour l’application de l’article L.314-4 du code du travail et relatif aux autorisations de travail délivrées aux travailleurs étrangers, JORF du 25 novembre 1975.
20 Voir CE, 27 janvier 1978, Association France Terre d’asile, 01791, Recueil Lebon.
21 Règlement 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, JOCE L 257 du 19.10.1968.
22 Voir en ce sens ALLAND D. et TEITGEN-COLLY C., Traité du droit de l’asile, PUF, 2002.
23 Loi n° 81-941 du 17 octobre 1981 modifiant diverses dispositions du code du travail relatives à l’emploi de travailleurs étrangers en situation irrégulière, JORF du 20.10.1981.
24 Loi n° 84-622 du 17 juillet 1984 portant modification de l’ordonnance 452658 du 02-11-1945 et du code du travail et relative aux étrangers séjournant en France et aux titres uniques de séjour et de travail, JORF du 19.07.1984.
25 CE, 3 octobre 1990, Office national d’immigration, 94414, Recueil Lebon.
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Jurisprudences liées à l'article
Office national d’immigration
Association France Terre d’asile