menu

Article 19

Professions libérales

1. Tout Etat contractant accordera aux réfugiés résidant régulièrement sur leur territoire, qui sont titulaires de diplômes reconnus par les autorités compétentes dudit Etat et qui sont désireux d'exercer une profession libérale, un traitement aussi favorable que possible et en tout cas un traitement non moins favorable que celui accordé, dans les mêmes circonstances, aux étrangers en général.
2. Les Etats contractants feront tout ce qui est en leur pouvoir, conformément à leurs lois et constitutions, pour assurer l'installation de tels réfugiés dans les territoires, autres que le territoire métropolitain, dont ils assument la responsabilité des relations internationales.



Commentaire

Auteur : Samia Aggar doctorante, CRDEI, Université de Bordeaux
Date de publication : Mars 2016

Afin de faciliter l’intégration des réfugiés, la Communauté internationale s’efforce de leur garantir des droits qui, dans certains domaines, sont plus étendus que ceux accordés aux simples étrangers. À cet égard, la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, marque de réels progrès. Les plus importants concernent l’accès au logement, la couverture maladie, les prestations familiales et l’assistance publique, mais aussi l’accès au marché du travail.
L’exercice de la profession libérale, notamment, saisi par l’article 19 de la Convention de  Genève qui stipule que : « Tout État contractant accordera aux réfugiés résidant régulièrement sur le territoire, qui sont titulaires de diplômes reconnus par les autorités compétentes dudit État et qui sont désireux d’exercer une profession libérale, un traitement aussi favorable que celui accordé, dans les mêmes circonstances, aux étrangers en général. Ainsi, les États contractants feront tout ce qui est en leur pouvoir conformément à leurs lois et constitutions, pour assurer l’installation de tels réfugiés dans les territoires, autres que le territoire métropolitain dont ils assument la responsabilité des relations internationales ».
Par l’article 19 de la Convention de Genève, les États contractants se sont engagés à reconnaître l’équivalence des diplômes obtenus par les réfugiés afin de leur permettre l’exercice d’une profession libérale. Aux termes de cette disposition, le pays d’accueil doit donc accorder le droit d’accès à la profession libérale aux réfugiés.

I – L’accès à la profession libérale, un droit reconnu au réfugié, mais soumis à des conditions strictes

Le droit au travail est reconnu dans de nombreux instruments internationaux et régionaux comme notamment le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturel, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la Charte sociale européenne ou encore la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il est un droit essentiel à l’exercice des autres droits fondamentaux et à la préservation de la dignité humaine. Il permet aux individus de favoriser leur reconnaissance par les autres membres de la société dans laquelle ils souhaitent être intégrés. Pour les réfugiés, le droit au travail est prévu aux articles 17 et 18 de la Convention de Genève. Mais cette reconnaissance ne préjuge pas des conditions d’accès aux professions libérales. Et, selon l’article 19 de la même Convention, le droit d’accès à la profession libérale reste soumis à la condition d’obtention d’un « diplôme reconnu » par les autorités compétentes de l’État sur le territoire duquel le réfugié « réside régulièrement ».
La notion de « profession libérale » n’a jamais été définie dans son ensemble, malgré l’avènement d’un véritable droit de la profession libérale. Pour comprendre les interprétations de cette notion, on peut relever plusieurs essais de définition doctrinale. Ainsi, le Professeur J. Savatier envisageait deux méthodes pour définir cette notion. La première méthode, rejetée par l’auteur, aurait consisté à dresser un catalogue des principes pour lesquels le législateur et la jurisprudence avaient fait appel à la profession libérale afin de pouvoir remonter, partant de cet ensemble de règles, à la notion de profession libérale elle- même. La seconde méthode, qu’il adopta, consistait à étudier les professions libérales les plus importantes, afin de dégager une notion unique, fondement d’un droit de la profession. Dans cette perspective, il analysa la nature de l’activité du professionnel, la nature du lien existant entre le professionnel et le client et, enfin, la mission sociale attribuée au professionnel. Puis, il définit de manière générale, la profession libérale comme étant « l’activité habituellement exercée par une personne pour se procurer les ressources à son existence »1. Le Professeur A. Grahl-Madsen suggérait une définition plus large, en se concentrant sur deux critères. En premier lieu, la « profession » est un type de travail qui exige une certaine qualification formelle confirmée par un diplôme obtenu dans une université ou une institution similaire, ou par une licence d’une agence de l’État lui permettant d’exercer une activité. En deuxième lieu, le mot « libéral » ou « libre » suggère que l’individu agit par lui-même, il ne doit être ni un agent de l’État ni salarié2. En d’autres termes, la personne concernée exerce une activité en toute indépendance sans qu’il existe le lien de subordination. Bien que le terme libéral ne soit pas spécifiquement défini, il a été largement compris pour désigner les professions pour lesquelles les diplômes ou autres qualifications sont nécessaires, et dans lequel le travail est organisé individuellement comme les avocats, les médecins, les dentistes, les ingénieurs, les artistes, les comptables, les scientifiques, les journalistes3.
James Curtis Hathaway retient une approche étroite de la profession libérale, afin de ne pas limiter les droits de tous les professionnels4. Celle-ci s’inspire d’un jugement de la Cour de justice dans lequel la définition de profession libérale avait été considérée comme une activité : « Les professions libérales sont des « activités qui entre autres, présentent un caractère intellectuel marqué, requièrent une qualification de niveau élevé et sont d’habitude soumises à une réglementation professionnelle précise et stricte. Il convient d’ajouter que, dans l’exercice d’une telle activité, l’élément personnel a une importance spéciale et qu’un tel exercice présuppose, de toute manière, une grande autonomie dans l’accomplissement des actes professionnels »5 .
Les conditions permettant au réfugié d’exercer une profession libérale sont précisées par la Convention de Genève. Il s’agit de l’obtention d’un « diplôme reconnu » par les autorités compétentes de l’État sur le territoire duquel le réfugié « réside régulièrement ».
Un diplôme doit être reconnu s’il est délivré par une université ou par un établissement du même genre, dans le pays concerné.  A. Grahl-Madsen définit le diplôme comme « tout degré, l’examen, l’admission, l’autorisation, ou l’achèvement d’un cours bien sûr qui  est nécessaire à l’exercice d’une profession »6. À cet égard, le programme du Comité exécutif encourage les États à reconnaître l’équivalence des diplômes, certificats et attestations scolaires, universitaires et professionnels, obtenus par les réfugiés avant leur arrivée dans le pays hôte »7. Cependant, N. Robinson soutient que les diplômes  doivent répondre aux exigences imposées par l’État dans l’exercice de la profession spécifique. Le même auteur a en outre noté que ce n’était pas spécifique aux réfugiés mais appliqué à l’égard de tous les diplômes étrangers8. Par exemple, en France, l’accès à la profession d’avocats est ouvert aux réfugiés reconnus par l’OFPRA, à condition, toutefois, qu’ils soient titulaires d’une maîtrise en droit ou d’un diplôme reconnu comme équivalent pour l’exercice de la profession libérale. En revanche, un certain nombre d’autres professions juridiques leurs sont fermées, dans la mesure où elles exigent exclusivement la nationalité française ou n’admettent que les ressortissants de l’Union européenne. De même, pour l’exercice de la profession de médecin, un étranger, muni d’un diplôme français ou de diplômes jugés équivalents aux diplômes français, peut être autorisé à exercer la médecine, dans la limite d’un quota fixé annuellement.
Par ailleurs, si le réfugié n’est pas en mesure de produire un certificat de l’université de son pays d’origine, il doit être autorisé à prouver l’obtention du diplôme universitaire requis par d’autres moyens que la production du diplôme normalement exigé.
Ainsi, le décret du 4 mai 2012 permet aux praticiens d’une profession libérale, titulaires d’un diplôme obtenu dans un État non membre de l’Union européenne, de poursuivre l’exercice de leurs fonctions et leur ouvrir la possibilité, sous certaines conditions, de se présenter à une nouvelle épreuve de vérification des connaissances, en vue de l’obtention du plein exercice de la profession concernée9.
Quant à la condition de résidence régulière, exigée dans certains articles de la Convention de Genève, elle résulte d’une concession du Gouvernement français. En effet, le texte français employait l’expression « résidence habituelle » qui implique une certaine permanence de séjour. La délégation française a accepté de substituer à cette expression, l’expression « résidence régulière » laquelle a un sens moins restrictif. En anglais, « a lawfully staying », qui désigne le simple fait d’être légalement sur le territoire même sans intention de la permanence, suffit.
En droit international privé français, le terme « résident » recouvre trois acceptions : résident privilégié (étranger qui bénéficie, en France, d’avantages particuliers avec assimilation presque totale aux nationaux, par exemple : un citoyen européen non français), le résident ordinaire (étranger qui séjourne plus de trois mois en France, sans intention de s’y fixer ; il doit solliciter de l’autorité administrative la délivrance d’une carte spéciale de séjour) et le résident temporaire (étranger qui ayant passé au moins une année en France, justifie d’une autorisation de travail ou de ressources suffisantes).
Le terme étranger signifie une personne qui ne fait pas partie du groupe social, celui qui n’appartient pas à la communauté, à la Nation. Il définit aussi par la négative : l’étranger est le non-national. Il bénéficie par conséquent d’un statut particulier, toujours inférieur à celui qui appartient au groupe, à l’État-Nation10.
Le pays d’accueil doit accorder ce droit aux réfugiés sans privilégier les étrangers ordinaires. Or, la plupart des dispositions relatives à l’emploi et au statut de travailleur indépendant de la Convention de Genève précise que les réfugiés recevront « le  traitement le plus favorable » accordé aux autres étrangers en général, « dans les mêmes circonstances ».
À cet égard, l’article 19 constitue une nouveauté dans les instruments internationaux relatifs aux réfugiés11. Les délibérations du Comité spécial sur l’apatridie et des problèmes connexes ont été basées sur les propositions contenues dans l’avant-projet de Convention concernant le statut de réfugiés élaboré par le Secrétaire général. Selon ces dispositions, les hautes parties contractantes accorderont au réfugié « le traitement le plus favorable accordé aux étrangers en vertu de Traités ou le traitement accordé aux  étrangers en  général »12.
Toutefois, le projet initial du Secrétaire général a été remplacé par la proposition du gouvernement français, accordant au réfugié un traitement aussi favorable que possible pour accéder à la profession libérale. La première possibilité, consistant à accorder au réfugié le même traitement que celui accordé aux étrangers en vertu d’autres traités, n’a pas été acceptée. On a préféré leur réserver un traitement identique à celui accordé aux étrangers en général.
Les termes « dans les mêmes circonstances » a été introduite par les rédacteurs de la Convention de Genève afin que « l’assimilation » soit plus claire, parce que le traitement des étrangers et des nationaux n’est pas forcément uniforme, mais dépend dans de nombreux cas du statut spécifique de la personne, ainsi que de la durée du séjour, des  conditions d’admission ou de la possession de certains documents par un étranger. Or, cette même expression « dans les mêmes circonstances », dans la Convention de 1951,  impliquent que « toutes les conditions (et notamment celles qui ont trait à la durée et aux conditions de séjour ou de résidence) que l’intéressé devrait remplir, pour pouvoir exercer le droit en question, s’il n’était pas un réfugié, doivent être remplies par lui à l’exception des conditions qui, en raison de leur nature, ne peuvent être remplies par un réfugié » (art.6). L’expression « aux étrangers dans les mêmes circonstances » désigne « aux étrangers soumis aux mêmes délais et autres conditions de résidence que les réfugiés de la catégorie correspondante »13. Par ailleurs, les restrictions à l’emploi des étrangers ne doivent pas s’appliquer aux réfugiés qui avaient un lien avec le pays d’accueil, à savoir les réfugiés se trouvant dans le pays plus de trois ans, à ceux qui sont mariés à une citoyenne du pays d’accueil ou à ceux dont les enfants possèdent la nationalité du pays d’accueil.

II – L’État, garant du droit d’accès à la profession libérale des réfugiés

Le paragraphe 2 de l’article 19 impose aux États parties de poursuivre leurs efforts afin d’assurer l’installation de réfugiés professionnellement qualifiés sur leur territoire. C’est logiquement une obligation de moyens plutôt que de résultat. Dans un contexte interne parfois compliqué, les États ont annoncé que cette disposition serait interprétée dans un esprit raisonnable14.
Dans la mesure où la protection des réfugiés est une responsabilité qui incombe au premier chef aux États15, ceux-ci doivent garantir aux réfugiés admis sur leur territoire les droits dont ils doivent bénéficier. À cet égard, on peut citer la première garantie donnée pour l’application adéquate de leur protection aux réfugiés, que constitue sans doute la dispense de réciprocité énoncée à l’article 7 de la Convention de Genève selon lequel « tout État contractant continuera à accorder aux réfugiés les droits et les avantages auxquels ils pouvaient déjà prétendre, en l’absence de réciprocité, à la date entrée en vigueur de cette convention pour ledit État ». Le principe de réciprocité, en application duquel l’octroi d’un droit à un étranger est soumis à celui d’un traitement similaire par le pays dont l’étranger a la nationalité, ne s’applique pas aux réfugiés car ceux-ci ne jouissent pas de la protection de leur pays d’origine.
Ainsi, si la convention de Genève texte accorde théoriquement le droit d’exercer une profession libérale aux réfugiés, l’effectivité de ces droits est entravée par plusieurs écueils tels que les procédures administratives, les difficultés pour atteindre le niveau de compétences linguistiques ou encore pour obtenir la reconnaissance des qualifications obtenues dans leur pays d’origine.

1 SAVATIER J., Profession libérale : Etude juridique et pratique, Thèse de droit, Poitiers, Paris, LGDJ,
1947, p. 34. Pour plus de détails sur la définition de la profession libérale voir aussi : MAURY F., l’exercice sous la forme d’une société d’une profession libérale réglementée, PUAM, 2000 et ALCADE F., La profession libérale en droit fiscal, Paris, LITEC, coll. BDE, Fondation nationale pour le droit de l’entreprise, 1984, T. 15.

2 GRAHL-MADSEN A., Commentary on the Refugee Convention 1951, Articles 2-11, 13-37. Published by the Division of International Protection of the United Nations High Commissioner for Refugees, 1997, Art. 19: www.refworld.org/pdfid/4785ee9d2.pdf.

3 ZIMMERMANN A., The 1951 Convention Relating to the Status of Refugees and its 1967 Protocol, Oxford University Press, 2011, p. 988.

4 HATHAWAY J. C., The rights of refugees under international law, Cambridge University Press, 2005, p.798

5 CJCE, 11 octobre 2001, Christiane Adam ép. Urbing et Administration de l’enregistrement et des domaines.

6 GRAHL-MADSEN, A. , Commentary, op. cit.

7 UNHCR ExCom, Conclusion sur l’intégration sur place, No. 104 (LVI), 7 octobre 2005, (m). Voir le lien www.unhcr.fr/4b30a2762c.html.

8 ROBINSON N., A commentary, Convention relating to the status of stateless persons. Its history and interpretation, Institute of Jewish Affairs, World Jewish Congress 1955. Reprinted by the Division of international Protection of the United Nations High Commissioner for Refugee 1997,  Art.19. Voir le lien www.refworld.org/pdfid/4785f03d2.pdf.
 

9 Décret n° 2012-659 du 4 mai 2012 portant application de la Loi n° 2012-157 du 1er  février 2012 relative à l’exercice des professions de médecin, chirurgien-dentiste, pharmacien et sage-femme pour les professionnels titulaires d’un diplôme obtenu dans un État non membre : www.legifrance.gouv.fr.

10 COURNIL  C., Le statut interne de l’étranger et les normes supranationales, L’Harmattan, 2005, p. 20.

11 GRAHL-MADSEN A., Commentary Article 19 (para. 1), op. cit.

12 Comité spécial de l’apatridie et des problèmes connexes, Statut des Réfugiés et Apatrides- Mémorandum préparé par le Secrétaire général. Conférence apatrides, 3 janvier 1950,  www.unhcr.fr/4b151cdde.html.

13 Comité spécial pour les réfugiés et les apatrides : Compte rendu analytique de la quarante-deuxième séance. Conférence apatrides, 28 septembre 1950. Voir le lien www.unhcr.fr/4b151cdee.html.

14 Conference of plenipotentiaries on the Status of Refugees and Stateless Persons: Summary Record of the Thirty-fourth Meeting, UN. Doc. A/CONF.2/SR.34 (1951):  www.refworld.org/docid/3ae68cdf0.html.

15 UNHCR, Protection des réfugiés, Guide sur le droit international relatif aux réfugiés, p. 5 www.unhcr.fr.


Ouvrages liés à l'article


  • The rights of refugees under international law
  • Asylum and integration in member states of the EU: integration of recognized refugee families as defined by the Geneva Convention considering their status with respect to the law of residence
  • Traité du droit de l'asile
  • Convention relating to the status of refugees : its history, contents and interpretation : a commentary

Articles liés à l'article


  • Article 19 1951 Convention
  • Rights of Refugees in the Context of Integration : Legal Standards and Recommendations
  • A comparative Study of social and economic Rights of Asylum Seekers and Refugees in the United States and the United Kingdom

Jurisprudences liées à l'article


  • Christiane Adam, épouse Urbing c. Administration de l’enregistrement et des domaines