Article 22
Education publique
1. Les Etats contractants accorderont aux réfugiés le même traitement qu'aux nationaux en ce qui concerne l'enseignement primaire.
2. Les Etats contractants accorderont aux réfugiés un traitement aussi favorable que possible, et en tout cas non moins favorable que celui qui est accordé aux étrangers en général dans les mêmes circonstances quant aux catégories d'enseignement autre que l'enseignement primaire et notamment en ce qui concerne l'accès aux études, la reconnaissance de certificats d'études, de diplômes et de titres universitaires délivrés à l'étranger, la remise des droits et taxes et l'attribution de bourses d'études.
Commentaire
Auteur : Louis-Marie Le Rouzic, docteur du CRDEI, Université de Bordeaux
Date de publication : Mars 2016
Les réfugiés, s’ils ne peuvent systématiquement revendiquer un traitement similaire à celui des nationaux, doivent être traités de la même manière que les étrangers en général. Si ce constat relève de l’évidence, la condition spécifique de réfugié justifie cependant qu’un traitement plus favorable puisse leur être réservé.
Ce constat est affiché à l’article 7§1 de la Convention de 1951. Celui-ci affirme que « sous réserve des dispositions plus favorables prévues par cette Convention, tout État contractant accordera aux réfugiés le régime qu’il accorde aux étrangers en général ». Par conséquent, les personnes se prévalant de la situation de réfugié – dont les conditions sont énumérées à l’article 1er de la Convention de Genève – doivent pouvoir prétendre à être traitées, a minima, de la même manière qu’un étranger. Mais il est important de signaler qu’un réfugié ne peut pas être considéré et traité comme un étranger comme les autres. Sa situation est subie et ne résulte pas d’une démarche volontaire.
Lorsque l’on étudie la question d’un réfugié, il ne s’agit pas d’envisager la situation d’un individu qui a pris volontairement, et sans pression extérieure, la décision de quitter son pays d’origine pour s’investir dans un autre État. Il s’agit au contraire d’étudier la situation d’un individu qui a été contraint par les évènements à quitter son pays. Il est bien entendu hors de question d’assimiler systématiquement le réfugié au national, mais il est important de comprendre que le réfugié ne peut pas toujours être traité de la même manière qu’un étranger.
L’article 22 relatif à l’éducation publique explicite ce constat. Le droit d’accès à l’enseignement primaire d’un réfugié doit être identique à celui d’un national. Aucune différence de traitement ne saurait être acceptée. Ceci tient à l’importance pour tout être humain de recevoir les enseignements fondamentaux. Pour « les catégories d’enseignement autre que l’enseignement primaire », les autorités étatiques doivent accorder la plus grande attention à ce que les réfugiés bénéficient d’une protection au moins aussi favorable que celle accordée aux étrangers classiques. Leur situation spécifique pourra cependant les conduire à recevoir une considération parfois plus favorable.
Poursuivant classiquement, à l’instar des autres conventions internationales1, la protection d’un droit à l’éducation, l’article 22 de la Convention de Genève protège, en réalité, le droit à l’instruction. Ce terme permet en effet, à l’image de l’article 2 du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, de protéger à la fois le droit à l’éducation et à l’enseignement. En effet, d’un côté, l’instruction correspond à l’« action de former l’esprit, la personnalité de quelqu’un par une somme de connaissances liées à l’expérience, à la vie, aux évènements »2. De l’autre, c’est l’« action de communiquer un ensemble de connaissances théoriques ou pratiques liées à l’enseignement »3.
Reconnu comme un impératif universel par de nombreuses conventions internationales et régionales, l’accès aux moyens d’instruction suppose la poursuite d’une égalité de traitement et la garantie pour chacun, peu importe sa situation, d’une protection efficace de son droit à l’instruction. L’article 22 de la Convention de Genève obéit également à cette logique. D’abord, l’accès aux connaissances fondamentales doit être garanti aux réfugiés dans les mêmes conditions que les nationaux (§1er). Ensuite, ils doivent recevoir un traitement au moins aussi favorable que les étrangers classiques. Ceci prouve que les réfugiés, en raison de leur situation particulière, peuvent recevoir un traitement spécifique pour garantir leur droit à l’instruction (§2nd).
I – La garantie classique d’un accès aux connaissances fondamentales dans les mêmes conditions que les nationaux
L’alinéa 1er de la l’article 22 de la Convention de Genève ne laisse subsister aucun doute quant à l’obligation faite aux autorités étatiques de traiter les réfugiés comme des nationaux. Il affirme que « Les États contractants accorderont aux réfugiés le même traitement qu’aux nationaux en ce qui concerne l’enseignement primaire ».
Les réfugiés ne doivent pas supporter le poids de leur condition difficile et subie. Ils ont dès lors le droit de se voir – et l’État a l’obligation – de fournir un accès aux connaissances fondamentales qui participe au libre épanouissement de la personne humaine défendu avec force par les philosophes des lumières4. Au-delà de la protection du droit à l’instruction, c’est le caractère universel des droits de l’homme qui plaide en ce sens car « si tout homme a des droits du seul fait qu’il est un être humain, alors tous les hommes sans exception doivent en bénéficier, quel que soit le lieu, quelle que soit l’époque »5.
Cette obligation reste donc classique et n’a pas fait l’objet de contentieux devant les juridictions françaises. De plus, l’ensemble des conventions internationales protégeant le droit à l’instruction garantissent une protection universelle d’accès aux connaissances fondamentales. La Convention de Genève n’innove par conséquent pas sur ce point.
Par contre, la seconde partie de l’article 22 est d’un apport majeur pour démontrer que le réfugié ne doit pas être considéré comme un étranger comme les autres.
II – La garantie spécifique d’un accès aux moyens d’instruction secondaires et supérieurs
Le second alinéa de l’article 22 se contente simplement de préciser que « les États contractants accorderont aux réfugiés un traitement aussi favorable que possible, et en tout cas non moins favorable que celui qui est accordé aux étrangers en général ». L’exigence d’assimilation des réfugiés à des nationaux n’est vérifiée que pour l’accès à l’enseignement primaire. S’agissant des autres niveaux d’instruction, les bénéficiaires de la protection offerte par la Convention de Genève s’inscrivent dans une catégorie intermédiaire entre les nationaux et les étrangers. Il n’est plus question d’obliger les États à leur offrir une protection identique qu’aux élèves et étudiants ayant la nationalité de cet État. Il est simplement mentionné que le réfugié doit bénéficier, au minimum, du même traitement qu’un étranger.
La formulation retenue accorde aux autorités nationales une marge d’appréciation plus étendue que celle dont dispose les États pour garantir l’accès à l’enseignement primaire. Cette différence de protection s’explique par l’importance de l’enseignement primaire dans la construction de l’individu. Sur ce point la Cour européenne des droits de l’homme a jugé, selon une formulation complexe, que « la marge d’appréciation dans ce domaine s’accroît avec le niveau d’enseignement de manière inversement proportionnelle à l’importance de celui-ci pour les individus concernés et pour la société dans son ensemble »6.
Garantir aux nationaux et aux étrangers un accès identique aux moyens d’instruction existants représenterait pour les autorités étatiques une charge financière importante que toutes ne pourraient pas raisonnablement supporter. La formulation retenue par l’article 22 invite les États à considérer les réfugiés comme n’étant pas des étrangers comme les autres. Le niveau de protection accordé par les États aux étrangers constitue le minimum devant être atteint mais ne représente en aucun cas un plafond au-delà duquel les autorités étatiques ne pourraient pas aller.
Le Conseil d’État français veille néanmoins à ce que cette protection constitue néanmoins un minimum. Deux affaires l’illustrent.
En premier lieu, en 2006, l’association d’accueil aux médecins et personnels de santé réfugiés en France a demandé à la juridiction administrative d’annuler certaines dispositions de l’arrêté du 21 juillet 2004 fixant les conditions de déroulement des épreuves de contrôle des connaissances pour les personnes françaises ou étrangères non titulaires du diplômes d’État pour l’exercice de professions de la santé. Celles-ci exigeaient de produire « une attestation des autorités universitaires faisant apparaître, année par année, le détail des enseignements théoriques et pratiques »7. Pour l’association requérante, une telle exigence avait pour conséquence d’offrir aux réfugiés un traitement moins favorable que pour les étrangers.
Ce moyen a été accueilli favorablement par le Conseil d’État. Le juge administratif a en effet estimé que cet arrêté portait atteinte au droit des réfugiés d’accéder aux moyens d’enseignement supérieur dans des conditions similaires aux étrangers, et ce, de deux façons. D’abord, il a été reproché au ministre de la santé et de la protection sociale ainsi qu’à celui de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur et de la recherche d’avoir ignoré la condition spécifique des réfugiés. A la lecture de la définition même du réfugié, leur relation avec leur État d’origine est délicate. Ils ne disposent pas des mêmes facilités pour entrer en contact, et obtenir des autorités administratives compétentes les informations désirées. Par conséquent, le fait que l’arrêté litigieux n’ait pas prévu « qu’une autorité administrative française puisse, le cas échéant, se substituer au réfugié ou au candidat au statut de réfugié dans l’accomplissement de cette démarche auprès des autorités universitaires du pays d’origine »8 méconnaissait l’article 22 de la Convention de 1951. Lié à ce premier argument, le Conseil d’État a ensuite remis en cause le fait que « la circonstance que la recevabilité de la demande de candidature soit subordonnée à la production de cette attestation constitue pour les réfugiés et les demandeurs d’asile un traitement susceptible de se révéler moins favorable que celui effectivement appliqué aux autres étrangers »9. Les dispositions contestées ont donc été annulées.
Ce premier exemple démontre que le réfugié ne peut être assimilé à un étranger comme les autres. Sa situation de réfugié est subie. Elle ne peut pas être assimilée à une démarche volontaire comme celle d’un individu souhaitant librement s’installer dans un autre État que son État d’origine. Des règles spécifiques, au besoin plus favorables que celles réservées aux étrangers en général, doivent donc lui être appliquées.
En second lieu, cette nécessité de tirer les conséquences juridiques d’une telle différence de situation a été renouvelée par le Conseil d’État en 201110. Dans cette seconde affaire, l’association d’accueil aux médecins et personnels de santé réfugiés en France avait demandé la modification de l’arrêté du 8 juillet 2008 relatif au diplôme de formation médicale spécialisée et au diplôme de formation médicale spécialisée approfondie pour y introduire des dérogations au profit, notamment, des réfugiés pour garantir et protéger davantage leur inscription dans les universités françaises. Le refus implicite né du silence gardé par l’Administration est alors attaqué par l’association requérante. Le Conseil d’État a retenu le même raisonnement que précédemment et appuyer sur le fait qu’un réfugié n’est pas un étranger ordinaire. En effet, « en raison même de leur statut, les réfugiés et apatrides sont susceptibles de se voir refuser, par les autorités universitaires de leur pays d’origine, la production de l’attestation »11 par laquelle ils apporteraient la preuve de leur connaissance de la langue française12. Par conséquent, l’application d’une règle générale occultant la question particulière des réfugiés, et leur accordant une protection moins favorable que les étrangers, n’est pas conforme à l’article 22 de la Convention. Ce constat, mis en évidence en 2006, est complété par l’obligation imposée par le Conseil d’État aux autorités administratives françaises de prendre systématiquement en compte la situation spécifique des réfugiés. Le juge administratif n’a ainsi pas hésité à enjoindre les ministres compétents d’adopter une réglementation particulière pour permettre aux réfugiés « d’apporter par tous moyens la preuve qu’ils ont accompli l’intégralité de leur cursus d’études en langue française ».
La combinaison de ces deux exemples montre que les réfugiés ne peuvent pas être systématiquement assimilés à des nationaux. Si une telle acculturation est indispensable pour les connaissances fondamentales, connaissances utiles à tout individu pour construire sa personnalité, certaines procédures d’accès à l’enseignement supérieur justifient cette différence de traitement. De la même manière, un réfugié ne pourra jamais être considéré comme un étranger classique. Sa situation particulière et subie explique que certaines dérogations leur soient octroyées et que celles-ci apparaissent parfois comme un traitement plus favorable que celui accordé aux étrangers classiques pour protéger le droit à l’instruction.
1 Tel est le cas par exemple de l’article 26 de la déclaration universelle des droits de l’homme, de l’article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ou encore de l’article 28 de la Convention internationale des droits de l’enfant.
2 T.L.F.I., Instruction, www.cnrtl.fr/definition/instruction.
3 Ibid.
4 En ce sens voir, par exemple, Condorcet, Cinq mémoires sur l’instruction publique, Paris, Flammarion, 1994, 380 p.
5 REDOR-FICHOTR M.-J., « Universalisme et pluralisme », in FONTAINE L., (dir.), Droit et pluralisme, Bruxelles, Bruylant, Coll. Droit et justice, 2007, 398 p., spéc., pp. 163 – 194, spéc. p. 163.
6 CEDH, 21 juin 2011, Ponomaryovi c. Bulgarie, Req. n° 5335/05, § 56 ; note GROSBON S., « La discrimination dans l’imposition de frais de scolarité à certains ressortissants étrangers : la Cour européenne des droits de l’homme en dit trop… ou pas assez… », RTDH, 2012, pp. 945 – 968.
7 CE, 8 février 2006, Association d’accueil aux médecins et personnels de santé réfugiés en France, Req. n° 277258.
8 Ibid.
9 Ibid.
10 CE, 26 octobre 2011, Association d’accueil aux médecins et personnels de santés réfugiés en France, Req. n° 339816
11 Ibid.
12 Cette démonstration était essentielle pour être dispensé de passer le test de français ou obtenir un diplôme d’étude en langue française.
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- The rights of refugees under international law
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Jurisprudences liées à l'article
Association d’accueil aux médecins et personnels de santés réfugiés en France
Ponomaryovi c. Bulgarie
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