Article 35
Coopération des autorités nationales avec les Nations Unies
1. Les Etats contractants s'engagent à coopérer avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, ou toute autre institution des Nations Unies qui lui succéderait, dans l'exercice de ses fonctions et en particulier à faciliter sa tâche de surveillance de l'application des dispositions de cette Convention.
2. Afin de permettre au Haut Commissariat ou à toute autre institution des Nations Unies qui lui succéderait de présenter des rapports aux organes compétents des Nations Unies, les Etats contractants s'engagent à leur fournir dans la forme appropriée les informations et les données statistiques demandées relatives:
a) au statut des réfugiés,
b) à la mise en œuvre de cette Convention, et
c) aux lois, règlements et décrets, qui sont ou entreront en vigueur en ce qui concerne les réfugiés.
Commentaire
Auteur : Julien Ancelin, docteur, CRDEI, Université de BordeauxDate de publication : Mars 2016
L’article 35 est le premier des articles du chapitre de la Convention dédié aux « dispositions exécutoires et transitoires ». Il institue une obligation générale de coopération des États avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (ci-après HCR) et détaille les conditions dans lesquelles cette agence onusienne exercera une mission de surveillance de l’exécution de Convention.
Cette disposition, particulièrement ambitieuse, positionne l’agence des Nations Unies comme la garantie d’effectivité principale de la protection internationale des réfugiés telle qu’établie par la Convention. L’organe onusien est, par ce biais, placé au centre du système de protection des réfugiés. A titre d’illustration, il a eu en 2013 la charge d’environ 11,7 millions de personnes réfugiées dans le monde1. L’article 35 constitue le socle de son action et dispose, à ce titre, d’une importance de premier ordre. À titre liminaire, il convient de noter que le rôle du HCR apparaît une première fois dans la Convention au sixième paragraphe de son préambule afin d’évoquer brièvement le rôle de surveillance dont il devait disposer2. L’article 35 donne un contenu normatif plus strict à cet engagement. Il met à la charge des États une obligation de coopération renforcée (I) ce qui a abouti, en pratique, à faire du HCR un organe de protection aux pouvoirs étendus (II).
I – Une obligation de coopération renforcée
Les États ont la charge, dans l’exécution de leurs obligations en vertu de la Convention, de coopérer avec l’agence onusienne spécialement dédiée à la protection des réfugiés. Une obligation similaire se retrouve à l’article II§1 du Protocole relatif au Statut des réfugiés adopté en 19673. Le premier paragraphe de l’article 35 peut s’analyser en une obligation de coopération renforcée, le second en étant la matérialisation, à propos de la surveillance de l’application de la Convention, par la mise en place d’une obligation de rapport au profit du HCR.
S’agissant de l’obligation de coopération, on note que la rédaction du texte est particulièrement exigeante pour les États. L’article 35 impose des « États [qu’ils] s’engagent à coopérer [avec le HCR] et en particulier à faciliter sa tâche de surveillance ». L’analyse des travaux préparatoires permet de comprendre les raisons ayant abouti au choix d’une telle formulation. En effet, dans un premier temps, la proposition servant de base à la négociation avait opté pour un simple appel à la coopération, les États ayant la charge de « faciliter le travail » du HCR4. À l’issue des débats, une rédaction plus exigeante a émergé, au prix néanmoins de certains compromis. Cette formulation n’a été possible qu’en contrepartie de l’exclusion de l’article 35 de la liste de l’article 42 qui prévoit les dispositions de la Convention ne pouvant faire l’objet de réserves. Le coût de cette exclusion est important, car un État partie peut, conformément à l’article 42, éviter toute coopération avec le HCR en formulant une réserve à l’encontre de l’article 35. On constate néanmoins que, parmi les 145 États parties à la Convention, aucun n’a, à l’heure actuelle, émis de réserve sur l’application de l’article 355.
La coopération visée a pour fonction de garantir au HCR le rôle de défenseur d’une certaine uniformité dans l’application de la Convention6. Cette fonction est essentielle, car une application de la Convention à géométrie variable (au-delà du jeu classique des réserves), sans un organe assurant un minimum de coordination, aboutirait à une fragilisation importante de pans entiers du dispositif de protection adopté. Par ailleurs, on note que les États parties à la Convention ont la charge de coopérer avec l’organe de surveillance « dans l’exercice de ses fonctions ». On observe ainsi que l’étendue de la surveillance assurée par l’organe onusien dépend d’un élément extérieur : le périmètre du mandat qui lui a été confié à un moment donné. En ne limitant pas la coopération des États avec le HCR à ses strictes fonctions de contrôle, la Convention accorde à l’ONU le pouvoir de moduler l’étendue de l’obligation de coopération en fonction du périmètre du mandat dont dispose son Haut Commissariat pour les réfugiés. Comme a ainsi pu l’observer la doctrine, « les obligations de coopération suivent ainsi l’évolution du rôle du UNHCR »7, qui néanmoins n’a pas connu de bouleversement statutaire majeur depuis sa création le 14 décembre 1950.
Enfin, s’agissant de l’obligation de rapport, on note que le second paragraphe de l’article 35 oblige les États à fournir à l’agence onusienne des informations dans des domaines précis touchant directement la protection des réfugiés. Cette exigence participe du perfectionnement de la surveillance et permet au Haut Commissariat d’exercer son office en pleine connaissance des législations nationales applicables aux réfugiés. Le second paragraphe permet également au HCR de s’acquitter de ses obligations statutaires auprès de l’Assemblée générale des Nations Unies puisqu’il a la charge, chaque année « de [lui] faire rapport » par l’entremise du Conseil économique et social8. Les rapports publiés par le HCR ont d’ailleurs permis de mettre en lumière certaines insuffisances étatiques dans ce domaine. Le comité exécutif du HCR a ainsi, à plusieurs reprises, invité « tous les États qui ne l’ont pas encore fait à répondre au questionnaire sur l’application [de la Convention] » et demandé à « tous les États de collaborer pour renforcer l’application [des instruments de protection des réfugiés], notamment par des efforts plus intenses de promotion, de meilleurs mécanismes de suivi et une application mieux harmonisée des critères de définition du réfugié »9. L’existence d’une obligation de rapport permet de sécuriser l’action de l’organe onusien de garantie de la protection, mais n’assure pas, faute de mécanisme de réaction automatique, une stricte application étatique. Malgré ces insuffisances, l’article 35 a permis d’imposer l’agence onusienne comme un acteur cardinal de la protection des réfugiés telle qu’elle est conçue par la Convention de 1951.
II – Un organe de protection à l’action étendue
L’analyse de l’application de l’article 35 révèle que le HCR est devenu, sous l’effet de l’accroissement considérable du nombre de personnes entrant dans son champ de compétence, un organe de protection incontournable. Installé dans son rôle par l’article 35 de la Convention, le HCR a exercé ses activités de façon active, participant souvent à l’extension de la protection dont il a la charge. L’organe onusien a ainsi proposé aux États, en relais des rapports d’application que ces derniers lui adressent, un ensemble d’instruments visant à améliorer la protection internationale des réfugiés. L’action déployée est bien accueillie de la part d’États, souvent démunis face à l’ampleur du phénomène. Cependant, certains aménagements à l’action de l’organe onusien doivent être adoptés afin de renforcer l’efficacité de l’article 35.
Le HCR a participé au renforcement du dispositif de protection de la Convention en publiant une littérature abondante destinée à apporter aux États et/ou aux opérateurs de protection des réfugiés des éclairages thématiques afin de faciliter l’accueil, la prise en charge, et le traitement des situations que pose l’afflux de réfugiés sur un territoire. Les Principes directeurs relatifs à la détention des demandeurs d’asile10 à la détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant11 ou encore le très exhaustif Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés12 peuvent notamment être cités. Nombre des recommandations contenues dans ces documents sont, par ailleurs, reprises par les compilations thématiques des conclusions du Conseil exécutif13. Si ces documents non contraignants ne peuvent être opposés par les personnes sollicitant le statut de réfugiés sur la base de la Convention de 1951 à l’encontre des autorités étatiques qui les reçoivent, ils disposent néanmoins d’une certaine autorité. L’analyse opérée par le Représentant du Secrétaire général pour les droits de l’homme des personnes déplacées de la jurisprudence de quelques États révèle ainsi que plusieurs juridictions ont explicitement visé ces textes, sur la base de l’article 35, afin d’orienter leur interprétation des dispositifs normatifs nationaux dont ils devaient connaître14. Ces instruments de soft law apparaissent utiles au rapprochement des réponses nationales apportées aux problématiques nombreuses et complexes soulevées par la gestion de la protection des réfugiés.
L’action déployée par le HCR dans le cadre de la garantie de l’effectivité de la Convention est, malgré les importantes critiques qu’il est susceptible d’émettre, bien acceptée par les États. Comme l’ont noté certains observateurs internationaux, la mission du HCR « est généralement acceptée et en fait attendue par les États, bien que l’application de la Convention continue à se heurter à de multiples difficultés »15. Ce constat dérive du regard que portent de nombreux acteurs étatiques sur l’action menée par le HCR. Bien souvent impuissants pour faire face aux flux inévitables de réfugiés qui s’installent sur leurs territoires, les États considèrent cette agence onusienne comme un moyen efficace et apte à organiser les conditions d’une protection minimale, là où ils feraient face à d’insurmontables difficultés s’ils agissaient seuls. Néanmoins, la surveillance de l’application de la Convention est susceptible d’être améliorée par l’adjonction de certaines garanties. Les praticiens ont ainsi proposé de renforcer le rôle joué par le HCR grâce à l’approfondissement des coopérations régionales ou encore la création, au sein comité exécutif du HCR, d’un mécanisme spécial dédié à des problèmes d’application spécifiques exempt de tout risque de politisation16.
À l’heure où l’Autre est parfois perçu comme une menace potentielle pour la sécurité et la capacité de certains États à garantir leur croissance économique et leur protection sociale, le HCR, détaché de certaines contingences politiques, se dresse en rempart protecteur de ceux qui, par crainte fondée de persécutions, fuient leur domicile dans l’espoir de trouver un cadre étatique pacifié.
1 HCR, Le coût humain de la guerre, tendances mondiales 2013, Publication du HCR, Genève, 2014, p. 12.
2 Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, Préambule, § 6. Au terme de ce paragraphe les Hautes Parties contractantes : « Prenant acte de ce que le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugies a pour tâche de veiller à l’application des conventions internationales qui assurent la protection des réfugiés, et reconnaissant que la coordination effective des mesures prises pour résoudre ce problème dépendra de la coopération des États avec le Haut Commissaire ».
3 Protocole de New-York du 31 janvier 1967, art. II§1. Au terme de cet article : « Les États parties au présent Protocole s’engagent à coopérer avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ou toute autre institution des Nations Unies qui lui succèderait, dans l’exercice de ses fonctions et, en particulier, à faciliter sa tâche de surveillance de l’application des dispositions du présent Protocole ».
4 Assemblée générale des Nations Unies, Conférence des plénipotentiaires sur le statut des réfugiés et des personnes apatrides, résumé des échanges de la 25ème session, 27 novembre 1951, document A/CONF.2/SR.25, p. 14.
5 Cf. en ce sens, Nations Unies, Collection des traités, Ch. V, no 2, consultable (le 16 février 2015) : < treaties.un.org/pages/ViewDetailsII.aspx >..
6 Assemblée générale des Nations Unies, Conférence des plénipotentiaires sur le statut des réfugiés et des personnes apatrides, résumé des échanges de la 2ème session, 20 juillet 1951, document A/CONF.2/SR.2, p. 17.
7 KÄLIN W., « La surveillance de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés : article 35 et autres mécanismes de suivi », in : FELLER E., TÜRK V., NICHOLSON F., et al. (dir.), La protection des réfugiés en droit international, Bruxelles, Genève, Larcier, HCR, 2008, p. 690.
8 Statut de l’Office du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 428(V) du 14 décembre 1950, document A/RES/428(V) , § 11.
9 Voir en ce sens les rappels effectués par le HCR in : « Compilation thématique des conclusions du Conseil exécutif », Division de la protection internationale, 5 mars 2012, p. 113.
10 HCR, Principes directeurs du HCR relatifs à la détention des demandeurs d’asile, Genève, février 1999, 11 p.
11 HCR, Principes directeurs du HRC relatifs à la détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant, Genève, mai 2008, 100 p.
12 HCR, Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, Genève, janvier 1992.
13 Cf. notamment, HCR, « Compilation thématique des conclusions du Comité exécutif », 5ème éd., Genève, mars 2012, 576 p.
14 KÄLIN W., « La surveillance de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés : article 35 et autres mécanismes de suivi », op. cit., pp. 698 – 699.
15 GLOBAL CONSULTATION ON INTERNATIONAL PROTECTION, « Relevé des conclusions : la responsabilité de surveillance », in : FELLER E., TÜRK V., NICHOLSON F., et al. (dir.), La protection des réfugiés en droit international, op. cit., p. 745.
16 Ibidem., p. 746.
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