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Article 38

Règlement des différends

Tout différend entre les Parties à cette Convention relatif à son interprétation ou à son application, qui n'aura pu être réglé par d'autres moyens, sera soumis à la Cour Internationale de Justice à la demande de l'une des Parties au différend.

Commentaire

Auteur : Catherine Gauthier, Maître de conférences, Université de Bordeaux
Date de publication : Mars 2016

Classique aujourd’hui, la clause insérée à l’article 38 de la Convention de Genève visant à confier à la Cour internationale de justice tout différend relatif à l’interprétation et à l’application de la Convention qui n’aura pu être réglé par d’autres moyens, l’était évidemment beaucoup moins lors de son élaboration, au début des années cinquante. Elle s’inscrivait néanmoins dans la lignée directe des principes généraux de promotion du règlement pacifique des différends réaffirmés avec force dans la période de l’après-guerre, notamment dans la Charte de San Francisco adoptée en juin 1945. La clause compromissoire de l’article 38 n’a cependant jamais été sollicitée, la Convention de Genève générant peu de différends entre Etats parties, mais bien davantage des différends entre Etats parties et individus désireux de se prévaloir des dispositions de la Convention1. C’est ainsi que, de manière quelque peu paradoxale, les juges nationaux et européens sont progressivement devenus les principaux interprètes de certaines des dispositions de la Convention.
Premier article du chapitre VII de la Convention relatif aux dispositions finales, l’article 38 ne consacre qu’à titre subsidiaire la compétence de la Cour internationale de justice pour traiter les différends liés à l’interprétation ou à l’application de la Convention. Aux termes de l’article 38 en effet, seuls les différends qui n’auront pu être réglés par « d’autres moyens » recevront un traitement juridictionnel.
Cette intervention juridictionnelle de dernier recours ne doit pas surprendre. Elle correspond en effet à la pratique internationale usuelle visant à favoriser la voie diplomatique pour régler les divergences d’interprétation ou d’application des traités2. Les moyens de règlement non juridictionnels traditionnels, tels que la négociation, les bons offices, la médiation ou encore la conciliation seront donc privilégiés. Ce n’est qu’en dernier recours et en cas d’impasse que l’intervention du juge pourra être sollicitée par les parties concernées.
Le choix de confier le règlement juridictionnel à la Cour internationale de Justice répond à des nécessités aisément compréhensibles et relève d’une démarche pragmatique. En l’absence de juge propre à la Convention, il était logique, notamment dans le contexte d’institutionnalisation de la vie internationale d’après-guerre, d’attribuer cette tâche à la Cour internationale de justice. L’existence de cette dernière avait en effet été consacrée quelques années à peine avant la signature de la Convention de Genève, par la Charte de San Francisco, qui en a fait l’un des organes principaux de l’Organisation des Nations-Unies. La démarche n’est en outre pas isolée, en ce qu’elle correspond aux missions générales confiées à la CIJ par l’article 36 §.2 de son Statut3. Ainsi, d’autres conventions, notamment des conventions multilatérales de tout premier plan4, ont également opté pour une telle clause compromissoire au profit de la Cour internationale de justice. Outre qu’elle constitue la première et la principale disposition finale de la Convention, l’importance de la clause compromissoire prévue par l’article 38 est également soulignée par le fait qu’elle est insusceptible de faire l’objet de réserve de la part des Etats parties, à l’inverse de la majorité des articles de la Convention. Plus précisément, c’est l’article 42 de la Convention qui prévoit qu’ « au moment de la signature, de la ratification ou de l’adhésion, tout Etat pourra formuler des réserves aux articles de la Convention autres que les articles 1, 3, 4, 16.1, 33, 36 à 46 inclus ». Cette impossibilité de moduler son acceptation de la clause compromissoire de l’article 38, si elle répond à un souci logique de centralisation et de rationalisation des mécanismes de règlement des différends relatifs à l’interprétation de la Convention, n’en est pas moins remarquable. Elle a freiné l’adhésion de certains Etats et ce caractère obligatoire de la juridiction de la Cour internationale de Justice a été purement et simplement gommé du Protocole de New York de 19675.
Pour centrale qu’elle soit, la clause de l’article 38 n’a cependant pas jamais été sollicitée par les Etats parties. Les raisons de cette absence de concrétisation de la compétence obligatoire de la Cour internationale de justice sont plurielles. Une explication peut d’abord être trouvée dans le travail de suivi confié par la Convention au Haut commissariat des Nations pour le droit des réfugiés6. Dans sa tâche, le Haut commissariat peut en effet contribuer à désamorcer concrètement et efficacement les éventuelles questions d’interprétation de la Convention et, le cas échéant, peut participer indirectement à la résolution d’une divergence d’interprétation entre différents Etats parties. Ensuite et surtout, l’objet même de la Convention, la protection des réfugiés, n’est pas en lui-même porteur de divergences d’interprétation entre Etats et n’est donc pas générateur de différends susceptibles de faire l’objet d’un recours devant la Cour internationale de justice. Si des frictions peuvent exister, notamment entre Etats frontaliers d’une zone de crise quant à la prise en charge des réfugiés, celles-ci sont généralement réglées par les voies non juridictionnelles classiques et avec l’intervention souvent décisive du HCR. Par voie de conséquence et compte tenu précisément de l’objet de la Convention, l’interprétation juridictionnelle de la Convention est revenue aux juges nationaux et, le cas échéant, aux juges européens. Ces derniers sont en effet saisis de plus en plus régulièrement par les particuliers qui revendiquent l’application positive des dispositions conventionnelles les concernant, et plus précisément de celles des dispositions de la Convention considérées comme étant dotés de l’effet direct et/ou reprises dans des textes internes ou européens se rapportant explicitement à la Convention7. Exception faite du droit européen susceptible de faire l’objet d’une interprétation centralisatrice, l’application juridictionnelle de la Convention de Genève est par définition décentralisée, fragmentée et donc relative. Elle est en effet  susceptible de variations, de gradations et d’évolutions en fonction du très grand nombre interprètes concernés. Elle ne supplée aucunement la fonction centralisatrice que pourrait remplir la Cour internationale de justice. Cette fonction, pour nécessaire qu’elle soit, ne répond cependant pas à un besoin véritable des Etats parties.

1 OELLERS-FRAHM, K., « Article 38 », in. ZIMMERMANN, A. (dir.), The 1951 Convention Relating to the Status of Refugees and its 1967 Protocol: a commentary, Oxford, New York, Oxford University Press, Collection Oxford commentaries on international law, 2011, p.1547.

2 Le quatrième alinéa du Préambule de la Convention de Vienne sur le droit des traités précise en effet : « affirmant que les différends concernant l’interprétation des traités doivent, comme les autres différends internationaux, être réglés par des moyens pacifiques et conformément aux principes de la justice et du droit international ».

3 L’alinéa a) de l’article 36 paragraphe 2 du statut de la Cour internationale de Justice dispose ainsi : « Les Etats parties au présent Statut pourront, à n’importe quel moment, déclarer reconnaître comme obligatoire de plein droit et sans convention spéciale, à l’égard de tout autre Etat acceptant la même obligation, la juridiction de la Cour sur tous les différends d’ordre juridique ayant pour objet : a. l’interprétation d’un traité ».

4 Tel avait été le cas de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (1948), de la Convention universelle sur le droit d’auteur (1952) ou encore de la Convention relative au statut des apatrides (1954). Plus récemment, cette clause a également été intégrée dans le Statut de la Cour pénale internationale (1998) ou encore dans la Convention des Nations Unies contre la corruption (2003).

5 COLELLA, A., « Les réserves à la Convention de Genève (28 juillet 1951) et au Protocole de New York (31 janvier 1967) sur le statut des réfugiés », AFDI, 1989, vol. 35, p.452.

6 Voir article 35 de la Convention.

7  Sur ce point, voir notamment CASTILLO MAROIS, J., Les interprètes de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés. Etude du point de vue de la France, Thèse Bordeaux, 2016, dactyl., 638 p.


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