Article 40
Clause d'application territoriale
1. Tout Etat pourra, au moment de la signature, ratification ou adhésion, déclarer que cette Convention s'étendra à l'ensemble des territoires qu'il représente sur le plan international, ou à l'un ou plusieurs d'entre eux. Une telle déclaration produira ses effets au moment de l'entrée en vigueur de la Convention pour ledit Etat.
2. A tout moment ultérieur cette extension se fera par notification adressée au Secrétaire général des Nations Unies et produira ses effets à partir du quatre-vingt-dixième jour qui suivra la date à laquelle le Secrétaire général des Nations Unies aura reçu la notification ou à la date d'entrée en vigueur de la Convention pour ledit Etat si cette dernière date est postérieure.
3. En ce qui concerne les territoires auxquels cette Convention ne s'appliquerait pas à la date de la signature, ratification ou adhésion, chaque Etat intéressé examinera la possibilité de prendre aussitôt que possible toutes mesures nécessaires afin d'aboutir à l'application de cette Convention auxdits territoires sous réserve, le cas échéant, de l'assentiment des gouvernements de ces territoires qui serait requis pour des raisons constitutionnelles.
Commentaire
Auteur : Sarah Teweleit, doctorante, CRDEI, Université de Bordeaux
Date de publication : Mars 2016
L’article 40 de la Convention de Genève relative au statut des refugiés renferme une clause dite d’application territoriale selon laquelle tout « Etat pourra […] déclarer que cette Convention s’étendra à l’ensemble des territoires qu’il représente sur le plan international, ou à l’un ou plusieurs d’entre eux » (alinéa 1). La clause ainsi insérée dans la Convention constitue l’un des moyens employés pour étendre le champ d’application de la protection des droits des refugiés. La problématique des réfugiés, question de portée internationale, nécessitait en effet une application territoriale étendue1.
Bien que sa dénomination ait été révisée lors des travaux préparatoires2, la clause facultative – insérée dans l’article 40 de la Convention de Genève – s’inscrit dans la continuité desdites « clauses coloniales ». Ainsi, elle soumet l’application de la Convention aux territoires représentés par un Etat partie au niveau international, au consentement exprès de ce dernier. Un tel consentement peut alors être exprimé, soit par le biais d’une déclaration unilatérale au moment de l’entrée en vigueur de la Convention (alinéa 1), soit au moyen d’une notification ultérieure, qui produira « ses effets à partir du quatre-vingt-dixième jour qui suivra la date à laquelle le Secrétaire général des Nations Unies aura reçu la notification ou à la date d’entrée en vigueur de la Convention pour ledit Etat si cette dernière date est postérieure » (alinéa 2).
Les auteurs de la Convention ayant retenu une logique inversée par rapport aux premières clauses coloniales3, telles qu’insérées notamment dans la Convention relative au statut international des réfugiés du 28 octobre 19334 et la Convention relative au statut des réfugiés en provenance de l’Allemagne du 10 février 19385, la formulation de article 40 de la Convention de Genève de 1951 est donc particulièrement respectueuse de la souveraineté des Etats parties6. Si cette disposition est complétée par l’obligation morale découlant de la déclaration volontariste inscrite dans l’alinéa 3 de article 40 : « chaque Etat intéressé examinera la possibilité de prendre aussitôt que possible toutes mesures nécessaires afin d’aboutir à l’application de cette Convention auxdits territoires », la portée de ce moyen d’extension reste cependant à nuancer dans la mesure où il repose sur la bonne volonté des Etats parties. Etant circonscrite par son caractère non-contraignant, la disposition inscrite dans le chapitre des clauses finales est en effet d’une portée limitée. En premier lieu, les Parties contractantes peuvent ainsi faire varier le champ d’application territoriale du texte protecteur dans le temps, en décidant « d’étendre l’application à un territoire placé sous sa juridiction »7 ou non, et de surcroît sélectionner les territoires concernés. En second lieu, les Etats peuvent, de plus, dénoncer par la suite les réserves consenties sur le fondement de la clause d’application territoriale. En ce sens, l’article 44 alinéa 3 de la Convention de Genève prévoit que tout « Etat qui a fait une déclaration ou une notification conformément à l’article pourra notifier ultérieurement au Secrétaire général des Nations Unies que la Convention cessera de s’appliquer à tout territoire désigné dans la notification » et que la « Convention cessera alors de s’appliquer au territoire en question un an après la date à laquelle le Secrétaire général aura reçu cette notification »8.
Bien que cet instrument constituait le meilleur outil permettant d’étendre progressivement la protection des droits des réfugiés, notamment aux territoires sous protectorat ou emprise coloniale, et que cette clause a effectivement été appliquée9 par l’Australie, le Danemark, la France10, les Pays-Bas, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord. Il s’agit d’un instrument pour le moins controversé, notamment en raison de sa connotation politique11, qui se traduit plus précisément par l’obligation qu’il impose de la sorte ; le respect de la Convention aux territoires non-autonomes12. Or, malgré les controverses au sujet des clauses de ce type, la clause d’application territoriale a par ailleurs été insérée dans l’article VII§4 du Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés13. Et, si elle a perdu de sa pertinence à la suite de la décolonisation, l’application antérieure de la clause d’application territoriale a néanmoins facilité l’adhésion des Etats nouvellement indépendants à la Convention de Genève de 1951 dans la mesure où ses droits et obligations s’imposaient préalablement sur leur territoire.
La non-application de la Convention à certains territoires a quant à elle perdu son intérêt pratique ; d’une part, au regard de l’évolution du droit international général14 et plus précisément de celle de la notion de « juridiction », concept qui s’impose progressivement, notamment concernant les traités de protection des droits de l’Homme, et, d’autre part, en raison de la progression du droit international coutumier, autrement dit la garantie matérielle des droits et obligations inhérents à la Convention de Genève.
1 En ce sens, V. l’alinéa 4 du Préambule de la Convention de Genève : « Considérant qu’il peut résulter de l’octroi du droit d’asile des charges exceptionnellement lourdes pour certains pays et que la solution satisfaisante des problèmes dont l’Organisation des Nations Unies a reconnu la portée et le caractère internationaux, ne saurait, dans cette hypothèse, être obtenue sans une solidarité internationale » (nous soulignons).
2 Alors que la dénomination de « clause coloniale » a été longtemps retenue lors des travaux préparatoires (V. par exemple l’intitule de l’article 35 du Projet de Convention relative au statut des réfugiés adopté le 18 juillet 1951 (UNHCR, Projet de Convention relative au statut des réfugiés : Texte des Articles adoptés le 18 juillet 1951 (Travaux préparatoires), disponible sur : www.unhcr.fr/4b151d1d5.html), les auteurs de la Convention ont choisi celle, plus neutre, de « clause d’application territoriale ».
3 Les clauses coloniales participaient dans le fonctionnement de la société internationale, qui reposait sur l’acceptation de la colonisation. Dans un premier temps, une telle clause « pouvait être insérée autrefois dans les conventions multilatérales, à la demande des puissances coloniales, afin d’exclure expressément du champ d’application territoriale d’une convention, les territoires non autonomes possédés par ces puissances », PANCRACIO J.-P., Dictionnaire de la diplomatie, Clermont-Ferrand, Ed. Micro buss, p. 697.
4 Société des Nations, 28 octobre 1933, Convention relative au statut international des réfugiés (Genève), (LNTS, vol. CLIX, n°3663), disponible sur wdl.org/fr/item/11580/view/1/1, préc. Art 22 : « Chacune des Parties contractantes peut déclarer, au moment de la signature, de la ratification ou de l’adhésion, que, par son acceptation de la présente Convention, elle n’entend assurer aucune obligation en ce qui concerne l’ensemble ou tout partie de ses colonies, protectorats, territoires d’outre-mer, territoires placés sous sa suzeraineté ou territoires pour lesquels un mandat lui a été confié ; dans ce cas, la présente Convention ne sera pas applicable aux territoires faisant l’objet d’une telle déclaration ».
5 Convention relative au statut des réfugiés en provenance d’Allemagne, 10 février 1938, (LNTS, vol. CXCII, n°4461), Recueil des traités de la Société des Nation, Vol. 192, n°4461.
6 En ce sens, elle est comparable avec l’article 56 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales.
7 En ce sens, V. le Texte des projets de directives constituant le Guide de la pratique sur les réserves aux traités, provisoirement adopté par la Commission de droit international (2011), (http://legal.un.org/ilc/sessions/62/GuidetoPracticeRervations_commentaires(f.).pdf.), annexé à la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies du 16 décembre 2013 (68/111), préc. p. 16
8 Il est intéressant de relever que la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales prévoit également la possibilité d’une telle dénonciation. V. article 58§4 : « La Convention peut être dénoncée conformément aux dispositions des paragraphes précédents en ce qui concerne tout territoire auquel elle a été déclarée applicable aux termes de l’article 56 ».
9 V. Nations Unies, Collection des Traités, Chapitre 5 (Refugiés et Apatrides), 2. : Convention relative au statut des réfugiés, Genève, 28 juillet 1951, disponible sur : https://treaties.un.org/pages/ViewDetailsII.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=V-2&chapter=5&Temp=mtdsg2&lang=fr #EndDec.
10 Le 23 juin 1954, la France a ainsi déclarée l’application de la Convention de Genève à « Tous les territoires que la France représente sur le plan international ».
11 En ce sens, V. notamment Conférence apatrides, 3 janvier 1950, Comité spécial de l’apatridie et des problèmes connexes, statut des réfugiés et apatrides _ Mémorandum préparé par le Secrétaire général, disponible sur : www.unhcr.fr/4b151cdde.html.
12 Pour la critique de telles clauses d’application territoriale, V. notamment PELLET (A.), « La ratification par la France de la Convention européenne des droits de l’homme, RDP, 1974, pp. 1319-1379, sp. p. 1331 : L’auteur rappelle que l’insertion de cette clause – permettant aux « Etats européens de dénier ou d’accorder aux populations d’Outre-mer le bénéfice de la Convention » – dans la Convention, était déjà « vivement combattue », lors des travaux préparatoires et plus précisément « des débats au sein de l’Assemblée Consultative du Conseil de l’Europe »
13 NU, Recueil des Traités, Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés, vol. 606, p. 267. V précisément l’article VII§4 : « Les déclarations faites en vertu des paragraphes 1 et 2 de l’article 40 de la Convention, par un Etat partie à celle-ci, qui adhère au présent Protocole, seront censées s’appliquer sous le régime du présent Protocole, à moins que, au moment de l’adhésion, un avis contraire n’ait été notifié par la parie intéressée au Secrétaire général de l’O.N.U. Les dispositions des paragraphes 2 et 3de l’article 40 et de l’article 44 de la Convention seront censées s’appliquer mutatis mutandis, au présent Protocole ».
14 Rappelant notamment que la Cour internationale de Justice impose en ce sens l’interprétation en fonction de « l’évolution que le droit a ultérieurement connue » (CIJ, avis consultatif, 21 juin 1971, Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-ouest africain) nonobstant la résolution 276/1970 du Conseil de Sécurité, CIJ Recueil, 1971, p. 31).
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