Article 42
Réserves
1. Au moment de la signature, de la ratification ou de l'adhésion, tout Etat pourra formuler des réserves aux articles de la Convention autres que les articles 1, 3, 4, 16 (1), 33, 36 à 46 inclus.
2. Tout Etat contractant ayant formulé une réserve conformément au paragraphe 1 de cet article pourra à tout moment la retirer par une communication à cet effet adressée au Secrétaire général des Nations Unies.
Commentaire
Auteur : Iris Pontès, Doctorante, CRDEI, Université de Bordeaux
Date de publication : Mars 2016
La fonction de l’article 42 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés (ci-après « la Convention ») est de prévoir un encadrement juridique pour les réserves à cet instrument, prenant ainsi en compte l’une des originalités les plus marquées du droit international des obligations conventionnelles : la possibilité de moduler son consentement à être lié par le texte d’un traité.
Selon la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, « l’expression ‘‘réserve’’ s’entend d’une déclaration unilatérale, quel que soit son libellé ou sa désignation, faite par un Etat quand il signe, ratifie, accepte ou approuve un traité ou y adhère, par laquelle il vise à exclure ou à modifier l’effet juridique de certaines dispositions du traité dans leur application à cet Etat »1 . Par ce procédé, l’unité et l’intégrité de l’application des règles conventionnelles sont sacrifiées au nom d’une adhésion plus massive aux traités multilatéraux, tenant ainsi compte de la volonté de certaines parties de protéger leurs intérêts propres. Toutefois, la faculté d’émettre des réserves ne peut être illimitée au risque de faire perdre tout son sens au processus de négociation conventionnelle.
Lors des travaux préparatoires à la Convention, bien que certaines considérations de principe sur le rôle des réserves au sein d’un traité de cette nature fussent rappelées, l’insertion d’une telle clause n’a point suscité de vifs débats. Les Etats ayant fait surtout part de leur volonté et de la nécessité d’émettre des réserves sur certaines des dispositions conventionnelles, dont notamment celle relative au droit à une éducation publique2 , ainsi seule l’étendue de ce droit a été réellement discutée.
La clause relative aux réserves finalement adoptée couvre une large partie des questions juridiques à propos des règles applicables à ces dernières. Le premier paragraphe de l’article 42 semble considérablement s’inspirer des règles classiques du droit international en la matière, codifiées, postérieurement, par l’article 19 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, qui prévoit qu’ «Un Etat, au moment de signer, de ratifier, d’accepter, d’approuver un traité ou d’y adhérer, peut formuler une réserve, à moins », « que la réserve ne soit interdite par le traité »3. L’article 42(1) a donc pour effet, selon Alberto Colella, de scinder en deux groupes les dispositions de la Convention, le premier étant formé « par des articles auxquels on peut apporter des réserves, et le deuxième des articles qui ne peuvent pas faire l’objet de réserves, c'est-à-dire qui doivent être acceptés tels qu’ils sont, sans qu’il y ait la possibilité d’en limiter la portée et les effets »4. Ces derniers sont énumérés de manière exhaustive par l’article 42(1), et sont au nombre de seize. Les cinq premiers sont relatifs à quelques clauses substantielles de la Convention, concernant respectivement la définition du terme « réfugié » (Art. 1), la non-discrimination (Art. 3), le libre et facile accès devant les tribunaux (Art. 16(1)), et enfin la défense d’expulsion et de refoulement (Art. 33). Nonobstant l’article 1 définissant le terme « réfugié » et délimitant ainsi le champ d’application ratione personae de la Convention, certains commentateurs de l’article 42 ont souligné la part de subjectivité ayant conduit à retenir certains articles plutôt que d’autres. A l’image d’Alain Pellet5 , constatant qu’il est difficile de démontrer que la liberté de religion est plus importante que le droit à une éducation publique, ou encore que le libre accès à la justice est plus essentiel que la liberté de circulation6.
Les autres articles non réservables sont les articles 36 à 46 de la Convention, ils relèvent de deux types de dispositions conventionnelles, les dispositions exécutoires et transitoires7et les clauses finales8. Ainsi les Etats ne peuvent se soustraire aux obligations d’information prévues par l’article 36, assurant un suivi du respect de leurs engagements internationaux, ni aux règles relatives aux relations de la Convention avec les conventions antérieures (Art. 37), organisant une articulation entre les différentes sources matérielles sur les droits des réfugiés9. Enfin en ce qui concerne les clauses finales (Articles 38 à 46), de par leur nature, il n’est pas exceptionnel qu’elles ne puissent faire l’objet de réserves. En effet ce sont ces dernières qui donnent « vie » au traité, en fixant ses conditions d’entrée en vigueur, d’accession, de modification, de terminaison…. De plus, comme le rappelle Alain Pellet, le fait de formuler des réserves sur des dispositions relatives à la date d’ouverture à la signature de la Convention (Art. 39(1)), son entrée en vigueur (Art. 43) ou encore sa dénonciation (Art. 44)10, n’aurait que peu de sens. Toutefois le choix d’interdire aux Etats d’émettre des réserves sur l’article 38, prévoyant le règlement obligatoire par la Cour internationale de justice des différends relatifs à l’interprétation ou l’application de la Convention est lui plus intéressant. En effet, ce sont des interrogations sur l’admissibilité des réserves à une clause compromissoire similaire11qui ont été à l’origine du célèbre avis consultatif de la Cour internationale de justice du 28 mai 195112ayant fait « subir au droit traditionnel des réserves une mutation fondamentale, dont il n’est pas exagéré de penser qu’elle relève davantage de la ‘‘révolution’’ que de l’application pure et simple du droit »13, selon Alain Pellet. Cet avis, bien qu’ayant posé les bases du droit international des réserves, n’a pas traité directement de l’opposabilité des réserves aux clauses compromissoires, la question juridique soumise à la Cour étant formulée de manière générale et abstraite, laissant le débat sur leur admissibilité en suspens. Même si aujourd’hui il est établi qu’une réserve sur une clause de règlement des différends n’est pas en elle-même incompatible avec le but et l’objet d’une convention en matière de droits de l’homme14, le débat n’a pas lieu d’être dans le cadre de la Convention de Genève puisqu’elle l’interdit expressément. Cette interdiction a eu pour conséquence de freiner l’adhésion de nombreux Etats15.
En ce qui concerne les autres dispositions de la Convention, lors de sa présentation en 1951 à la Conférence des Plénipotentiaires, l’article 42 (alors Art. 36) avait été décrit par Kerno comme un blanc-seing donné aux Etats pour émettre des réserves sur tous les articles qu’ils souhaitaient à l’exception de ceux expressément exclus du droit de réserve16. Seulement, au regard des principes de droit international applicables en la matière et codifiés par la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, l’admissibilité et donc l’opposabilité des réserves sur ces articles s’est avérée plus compliquée que ne l’avaient prévu les rédacteurs. En effet, « Lorsque le traité interdit la formulation de certaines réserves, une réserve qui n’est pas interdite par le traité ne peut être formulée par un État ou une organisation internationale que si elle n’est pas incompatible avec l’objet et le but du traité »17. Il ne peut donc être exclu que des réserves à certaines dispositions, bien que non prohibées expressément, soient tout de même considérées inadmissibles ou reçoivent des objections de la part d’autres parties contractantes au motif qu’elles seraient incompatibles avec l’objet et le but de la Convention. Même si ce cas de figure ne s’est pas présenté explicitement, c’est implicitement sur ce motif que six Etats parties18, dont la France, ont fait objection à la réserve du Guatemala, qui en accédant à la Convention, déclara qu’il n’appliquerait pas les dispositions réservables si elles allaient à l’encontre des normes constitutionnelles du pays ou des règles d’ordre public propres au droit interne à caractère général. Rédigée en des termes très indéterminés et laissant à la discrétion du gouvernement guatémaltèque l’application de nombreuses dispositions elle a été perçue comme pouvant priver d’effet la Convention par les Etats objecteurs. Il en résulte que seuls les articles exclus du droit de réserve, et donc cités dans l’article 42(1) sont opposables dans les relations entre le Guatemala et ces Etats19.
L’article 42 semblerait aujourd’hui presque banal, tant sa formulation paraît emprunter aux règles de droit international codifiées en la matière. Ce qui se confirme non seulement pour son premier paragraphe20, mais également pour son second, (organisant le droit de retrait des réserves à la Convention), rappelant l’article 20(4) de la Convention de Vienne sur le droit des traités qui prévoit que « le retrait d’une réserve ou d’une objection à une réserve doit être formulé par écrit ». Il était pourtant novateur et portait en lui les aspirations universelles de ses rédacteurs, mission dont il s’est bien acquitté21, et cela sans que la crainte qu’il offre trop de latitude aux Etats et in fine desserve les ambitions de la Convention, ne se vérifie. Le risque étant que, trop nombreuses, les réserves ne vident de son contenu la protection accordée aux réfugiés, et le cas échéant, une adhésion, même massive, des Etats à la Convention ne serait donc qu’une mince consolation. Heureusement dans la pratique, d’une part, les réserves émises sont dans l’ensemble très raisonnables et visent surtout à rendre compatibles les obligations internationales contenues dans la Convention avec les intérêts propres des Etats22. D’autre part, certains Etats, bien qu’ayant réservé des dispositions conventionnelles, les ont finalement appliquées dans leurs ordres juridiques. Enfin, il est à souligner que, à l’image du Mexique qui le 11 février 2014 a retiré ses réserves à la Convention23, beaucoup d’Etats (réservataires) ont également usé de leur droit unilatéral de retrait.
Ainsi, malgré le nombre élevé d’Etats réservataires, l’article 42 ne semble pas avoir « sacrifié à la vaine recherche du nombre des participants les fins même de la Convention »24, au contraire il a permis d’atteindre un équilibre entre recherche d’universalisme et préservation de l’intégrité de l’instrument. Et cela notamment grâce à l’exclusion de certaines clauses du droit de réserve. Sur ce point, certains auteurs25ont affirmé que ces articles se contentaient de codifier des normes de droit international coutumier existantes à l’époque de la rédaction de la Convention, et par là étaient déjà opposables aux Etats. D’autres, dont Alberto Colella ont rappelé qu’« il ne semble pas que la plupart des règles codifiées dans la Convention et non réservables soient considérées, dans la pratique des Etats, comme des règles de droit coutumier »26. Par ailleurs sur ce point, il est à noter que « le fait qu’une disposition conventionnelle reflète une règle de droit international coutumier n’empêche pas par lui-même la formulation d’une réserve à cette disposition »27, les interdictions prévues par l’article 42 gardent donc tout leur intérêt.
Enfin, il faut relever que sur les 145 Etats parties à la Convention, seuls trois d’entre eux28n’ont pas signé le Protocole de 1967 relatif au Statut des réfugiés (ci-après « Le Protocole ») retirant les restrictions géographiques et temporelles de la Convention. Il faut apporter quelques précisions sur l’articulation de leurs clauses de réserves respectives. En effet, l’article VII(1) du Protocole prévoit qu’« au moment de son adhésion, tout Etat pourra formuler des réserves sur l’article IV du présent Protocole, et au sujet de l’application, en vertu de l’article premier du présent Protocole, de toutes dispositions de la Convention autres que celles des articles premier, 3, 4, 16 (1) et 33, à condition que, dans le cas d’un Etat partie à la Convention, les réserves faites en vertu du présent article ne s’étendent pas aux réfugiés auxquels s’applique la Convention ». Il est à préciser que l’article IV du Protocole étant une clause compromissoire, l’encadrement juridique des réserves par le Protocole se distingue donc de celui envisagé par la Convention. Cette différence s’explique par la volonté de recueillir l’adhésion la plus étendue possible au Protocole, celle-ci ayant été menacée par la réticence affirmée des Etats à accepter la juridiction obligatoire de la Cour internationale de justice.
De plus, l’article VII dans son ensemble reflète bien la nature unique et indissociable des deux accords qui forment, selon Alberto Colella, « un corps unique, un ensemble normatif »29, le Protocole constituant « l’achèvement nécessaire de la Convention »30. C’est pourquoi l’article VII(2) prévoit que « les réserves faites par des Etats parties à la Convention conformément à l’article 42 de ladite Convention s’appliqueront, à moins qu’elles ne soient retirées, à leurs obligations découlant du présent Protocole ». Si un Etat signataire du Protocole et partie à la Convention émet des réserves sur la base de l’article VII(1), alors celles-ci s’appliqueront uniquement pour les réfugiés visés dans cet instrument. La clause de réserves du Protocole respecte donc la règle de non-rétroactivité des normes juridiques31, et s’inscrit plus largement dans le critère général du favor refugiendi qui caractérise l’article 42 de la Convention32.
Près de soixante quatre ans après sa genèse, la Convention reste un acquis fondamental pour la protection des réfugiés, et il ne serait pas exagéré de soutenir que son article 42 a favorisé cette renommée.
1Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités – Article 2 paragraphe 1er d).
2Voir, Conférence des Plénipotentiaires sur le statut des réfugiés, UN Doc. A/CONF.2/SR.10.
3Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités - Article 19 a).
4COLELLA A., « Les réserves à la Convention de Genève 28 juillet 1951 et au Protocole de New York 31 janvier 1967 sur le statut des réfugiés », AFDI, 1989, Vol. 35, pp. 446-475.
5PELLET A., « Commentaire de l’article 42 de la Convention de Genève de 1951 et de l’article VII du Protocole de 1967 », in : ZIMMERMANN A. (dir.), The 1951 Convention Relating to the Status of Refugees and its 1967 Protocol: a commentary, Oxford, New York, Oxford University Press, Collection Oxford commentaries on international law, 2011, pp. 1615-1639.
6Voir, Ibid, p. 1625.
7Voir, Chapitre VI de la Convention de Genève sur le statut des réfugiés du 28 juillet 1951.
8Voir, Chapitre VII de la Convention de Genève sur le statut des réfugiés du 28 juillet 1951
9Pour rappel, l’ordre juridique international est marqué par une absence de hiérarchie de ses sources.
10ZIMMERMANN A. (dir.), The 1951 Convention Relating to the Status of Refugees and its 1967 Protocol: a commentary, Oxford, New York, Oxford University Press, Collection Oxford commentaries on international law, 2011, pp. 1626-1627.
11Voir, article IX de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948.
13 PELLET A., « La CIJ et les réserves aux traités ; Remarques cursives sur une révolution jurisprudentielle », in : Liber amoricum Judge SHIGERU Oda, Kluwer Law International, 2002, p. 481.
14Voir, CIJ, ordonnance, 2 juin 1999, Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Espagne), § 32 et 33 et CIJ, arrêt, 3 février 2006, Activités armées sur le territoire du Congo (Congo c. Rwanda), § 67 et 68.
15Notamment des anciens Etats socialistes et du Tiers-monde n’ont pas accédé à la Convention pour ce motif.
16Voir, Conférence des Plénipotentiaires sur le statut des réfugiés, UN Doc. A/CONF.2/SR.21, p. 19.
17Voir, Guide de la pratique sur les réserves aux traités de 2011 adopté par la Commission du droit international à sa soixante-troisième session, en 2011, et soumis à l’Assemblée générale (A/66/10), §3.1.1.
18République Fédérale d’Allemagne, Belgique, France, Luxembourg, Italie et Pays-Bas.
19Voir, Convention de Vienne du 23 mai 1919 sur le droit des traités – Article 20 « Acceptation des réserves et objections aux réserves ».
20Voir, supra.
21Voir, statut quasi-universel de la Convention.
22La plupart des réserves soulevées par les Etats ont pour fonction de proportionner les obligations prises aux différentes circonstances géographiques, sociales, économiques qui caractérisent les divers ordres juridiques
24Voir, CIJ, avis, 28 mai 1951, Réserves à la Convention sur le génocide, CIJ Recueil 1951, p. 24
25Voir notamment, SOCINILEYERDECKER, « La Convention de Genève de 1951 et le problème de la coordination des règles internationales visant les réfugiés », in: Association of World Refugees Bulletin, 1982, pp. 223-225.
26COLELLA A., « Les réserves à la Convention de Genève 28 juillet 1951 et au Protocole de New York 31 janvier 1967 sur le statut des réfugiés », AFDI, 1989, Vol. 35, p. 450.
27Voir, Guide de la pratique sur les réserves aux traités de 2011, adopté par la Commission du droit international à sa soixante-troisième session, en 2011, et soumis à l’Assemblée générale dans le cadre de son rapport sur les travaux de ladite session (A/66/10). Reproduit dans l’Annuaire de la Commission du droit international, 2011, vol. II(2).
28Voir, www.unhcr.fr/4d0a2a949.html
29COLELLA A., « Les réserves à la Convention de Genève 28 juillet 1951 et au Protocole de New York 31 janvier 1967 sur le statut des réfugiés », Annuaire français de droit international, 1989, Vol. 35, p 448.
30Ibidem.
31Voir, prior tempore potior jure.
32Et inspire aussi le texte de la Convention dans son ensemble, tout comme celui du Protocole.
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