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Article 8

Dispense de mesures exceptionnelles


En ce qui concerne les mesures exceptionnelles qui peuvent être prises contre la personne, les biens ou les intérêts des ressortissants d'un Etat déterminé, les Etats contractants n'appliqueront pas ces mesures à un réfugié ressortissant formellement dudit Etat uniquement en raison de sa nationalité. Les Etats contractants qui, de par leur législation, ne peuvent appliquer le principe général consacré dans cet article accorderont dans des cas appropriés des dispenses en faveur de tels réfugiés.

Commentaire

Auteur : Olivier Pejout, doctorant, CRDEI, Université de Bordeaux
Date de publication : Mars 2016

 

La dispense de mesures exceptionnelles rédigée dans la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés est un exemple de l’influence croisé du droit international des réfugiés et du droit  international humanitaire1. Le souci d’aider le plus grand nombre ne doit pas être empêché par des considérations liées à la nationalité des réfugiés.

I A L’origine
L’article 8 pose une dispense de mesures exceptionnelles prises à l’encontre des réfugiés par les Etats contractant sur la seule base de leur nationalité. Un précédent à cette disposition se trouve dans l’article 44 de la Quatrième Convention de Genève de 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre : « En prenant les mesures de contrôle prévues par la présente Convention, la Puissance détentrice ne traitera pas comme étrangers ennemis, exclusivement sur la base de leur appartenance juridique à un Etat ennemi, les réfugiés qui ne jouissent en fait de la protection d'aucun gouvernement. »2. Cela met en lumière une double singularité du réfugié en temps de guerre. D’une part, il n’a plus de connexion avec son Etat d’origine puisqu’il l’a fuit et ne bénéficie plus de sa protection. D’autre part, il ne peut pas encore faire valoir un lien permanent d’appartenance à l’Etat d’accueil puisqu’il n’y séjourne que depuis une brève période. Ce principe est issu du constat que « during and after the Second World War, many refugees who had been persecuted by the Governments of the Axis countries were subjected to exceptional measures taken in the Allied countries against 41 enemy nationals” (e.g. internment, sequestration of property, blocking of assets) because of the fact that formally (de jure) the refugees in question were still nationals of the Axis countries. »3. L’injustice de cette situation fut reconnue et les Etats contractants décidèrent de prévenir tout risque de nouvelles dérives en s’inspirant d’une pratique développée dans certains Etats anglo-saxons qui faisaient une distinction entre les « real ennemies »4 et les « friendly ennemies »5. Les premiers devant faire l’objet de mesures spéciales tandis que les autres bénéficiaient d’un traitement plus favorable. Le principe fut donc repris à l’article 44 de la Quatrième Convention de Genève. Le passage des périodes de guerres aux périodes de paix fut encouragé par le  Secrétaire Général des Nations Unis qui déclara que « if this rule is to be applied in time of war, a similar rule must a fortiori be applied in time of peace »6. L’article 8 reprend donc l’idée pour l’appliquer aux réfugiés en temps de paix.

I- B. Le contenu.

L’article 8 pose le principe d’une interdiction des mesures exceptionnelles mais quelle en est l’étendue réelle. Premièrement, il faut en déterminer le contenu. Il peut s’agir de mesures d’internement, de séquestration, de restrictions de circulation, d’embargo. Dans le cas de litiges entre Etats ayant une nature plus économique, il sera plutôt question de restrictions de droit de propriété, de gels d’avoirs.
Deuxièmement, pour s’appliquer, l’article 8 a besoin que le choix d’imposer des mesures exceptionnelles repose uniquement sur la nationalité formelle du réfugié, c'est-à-dire sa nationalité de jure, celle inscrite sur sa pièce d’identité. Tout réfugié possède une nationalité, il n’est pas apatride. Pour autant, doit-il se voir appliquer des règles en raison de ce seul lien juridique alors que de facto l’attachement à cette nationalité semble être rompu par sa fuite dans un autre Etat. Par conséquent, si les mesures exceptionnelles ne reposent que sur la nationalité de jure, elles sont interdites par l’article 8 car elles reviennent à nier tout droit au réfugié7.
Troisièmement l’article 8 est valable pour tous les réfugiés dans tous les Etats contractants que les réfugiés y séjournent ou non. Par exemple, un réfugié originaire d’un Etat A, présent sur le sol d’un Etat B, ne peut être victime de mesures exceptionnelles de la part d’un Etat C uniquement sur la base de sa nationalité s’il y possède des biens.
Quatrièmement, le principe d’interdiction posé par l’article 8 n’est pas absolu. Sa justification de base étant d’éviter les injustices, il n’a pas vocation à s’appliquer si les circonstances le justifient. Ainsi, pour être applicable, les mesures ne doivent pas être prises uniquement en raison de la nationalité du réfugié. Il revient donc à l’Etat de justifier sa décision en déterminant si le réfugié a toujours un lien avec son Etat d’origine et son ampleur. Pour pouvoir appliquer des mesures exceptionnelles, les Etats contractant peuvent rechercher une sorte de « spiritual affinity »8 ou « ideological allegiance »9 reliant le réfugié à son Etat d’origine. Ainsi, la mesure n’est plus uniquement prise sur le fondement de sa nationalité formelle. Une telle analyse encourage aussi la prise de mesures individualisées, les mesures générales étant plus susceptible de tomber sous le coup de l’interdiction posée par l’article 8.

II A. La mise en œuvre.

Le système de mise en œuvre de la dispense de mesures exceptionnelles prévu par l’article 8 offre deux possibilités. La première, une intégration directe du principe énoncé par la règle de droit international dans le droit interne de l’Etat contractant. Ainsi, elle devient un élément de droit interne. Cette solution présente l’avantage d’empêcher un Etat contractant de retarder l’entrée en vigueur de cette disposition pour des considérations propres à son droit interne : ratification… Néanmoins, lors de la Convention des Plénipotentiaires, la Suède s’y est opposée10. Bien entendu, les risques de dérives furent justement pressentis notamment par la Belgique et une solution de compromis fut trouvée11. Elle fut ajoutée à la première. Désormais, cette  seconde possibilité inscrite à l’article 8 permet à l’Etat contractant « dans des cas appropriés » d’accorder des dispenses. Il n’est plus question d’une exemption générale. Au contraire, il est question ici d’une exemption au cas par cas. Ne vient-elle mettre à mal le principe d’interdiction posée par l’article 8 ?  Cette incise relative aux « cas appropriés » apporte-t-elle quelque chose ? Au final, il est difficile d’en évaluer la valeur ajoutée. Selon l’esprit de l’article 8, ces cas sont en fait toutes les situations dans lesquelles des mesures exceptionnelles sont prises uniquement sur le fondement de la nationalité du réfugié12. En parallèle, il peut suggérer que la dispense ne s’appliquera qu’en cas de nécessité, c'est-à-dire quand l’ampleur des mesures exceptionnelles imposées par l’Etat contractant remet véritablement en cause le principe inscrit dans l’article 813. Toutefois, il ne s’agit pas de la seule limite posée à l’application de l’article 8.

B. La limite.

En droit international, les Etats ont la possibilité lorsqu’ils signent, ratifient un traité d’y adjoindre des réserves14. Celles-ci peuvent avoir deux objectifs. Le premier, donner une interprétation particulière d’un article lorsqu’il laisse planer une incertitude que l’Etat ne juge pas souhaitable. Le second, écarter l’application d’articles du traité que l’Etat ne veut pas se voir opposer. En l’espèce, l’article 8 n’a pas fait l’objet d’une adhésion unanime. Certains Etats contractants y ont vu une menace. Ainsi, les réserves concernant cet article sont de deux ordres. Tout d’abord, certains Etats contractants ont refusé de se voir lier par cet article. Dès lors, la réserve est formulée en ces termes : « la République de Lettonie déclare qu'il ne se considère pas lié par les dispositions de l'article 8 […] de la Convention.»15. Ensuite, d’autres réserves donnent leur interprétation de l’article 8. Par exemple, « Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord considère que les articles 8 et 9 ne l'empêcheraient pas de prendre, en temps de guerre ou dans d'autres circonstances graves et exceptionnelles, dans l'intérêt de la sécurité nationale, des mesures à l'égard d'un réfugié, en raison de sa nationalité »16. On ainsi formulés des réserves à l’article 8 : l’Espagne, Fidji, la Jamaïque, la Lettonie, le Royaume-Uni, la Suède, les Iles Anglo-Normandes et île de Man, la Finlande17. Cette dernière a levé sa réserve en 2007, preuve de l’évolution constante du droit international des réfugiés.

 

 

1 JAQUEMET, S., « The cross-fertilization of international humanitarian law and international refugee law », In : LAMBERT, H. (dir.), International refugee law, Farnham, Burlington, Ashgate, Collection The library of essays in international law, 2010, pp. 283-305

2 Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, 12 août 1949, Article 44.

3 Commentary on the refugee convention, 1951, ARTICLES 2-11, 13-37, Published by the Division of International Protection of the United Nations High Commissioner for Refugees, 1997, p. 23

4 THE GENEVA CONVENTIONS OF 12 AUGUST 1949, COMMENTARY published under the general editorship of Jean S. PICTET . Doctor of Laws Director for General Affairj of the International Committee of the Red Cross IV GENEVA CONVENTION RELATIVE TO THE PROTECTION OF CIVILIAN PERSONS IN TIME OF WAR, p. 291

5 Idem.

6 COMMENTARY ON THE REFUGEE CONVENTION, 1951, ARTICLES 2-11, 13-37, Published by the Division of International Protection of the United Nations High Commissioner for Refugees, 1997, p. 24

7 HATHAWAY, J C., The rights of refugees under international law, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 2005, p. 274

8 THE GENEVA CONVENTIONS OF 12 AUGUST 1949, COMMENTARY published under the general editorship of Jean S. PICTET . Doctor of Laws Director for General Affairj of the International Committee of the Red Cross IV GENEVA CONVENTION RELATIVE TO THE PROTECTION OF CIVILIAN PERSONS IN TIME OF WAR, p. 292

9 THE GENEVA CONVENTIONS OF 12 AUGUST 1949, COMMENTARY published under the general editorship of Jean S. PICTET . Doctor of Laws Director for General Affairj of the International Committee of the Red Cross IV GENEVA CONVENTION RELATIVE TO THE PROTECTION OF CIVILIAN PERSONS IN TIME OF WAR, p. 292

10 A/CONF.2/37

11 Idem.

12 COMMENTARY ON THE REFUGEE CONVENTION, 1951, ARTICLES 2-11, 13-37, Published by the Division of International Protection of the United Nations High Commissioner for Refugees, 1997, p. 23-27

13 HATHAWAY, J. C., The rights of refugees under international law, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 2005, p. 276

14   COLELLA A. « Les réserves à la Convention de Genève (28 juillet 1951) et au Protocole de New York (31 janvier 1967) sur le statut des réfugiés. » In: Annuaire français de droit international, volume 35, 1989. pp. 446-475. ; Article 42 de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés. :
« Article 42. -- Réserves
1. Au moment de la signature, de la ratification ou de l'adhésion, tout Etat pourra formuler des réserves aux articles de la Convention autres que les articles 1, 3, 4, 16 (1), 33, 36 à 46 inclus.
2. Tout Etat contractant ayant formulé une réserve conformément au paragraphe 1 de cet article pourra à tout moment la retirer par une communication à cet effet adressée au Secrétaire général des Nations Unies. »

15 Nations Unies, Accessible sur : treaties.un.org/doc/Publication/MTDSG/Volume%20I/Chapter%20V/V-2.fr.pdf

16 Idem

17 Idem


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  • The rights of refugees under international law
  • Convention relating to the status of refugees : its history, contents and interpretation : a commentary

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