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Présentation générale

Auteur : Marion Tissier, docteur, CRDEI, Université de Bordeaux
Date de publication : Mars 2016

Signée le 28 juillet 1951 et entrée en vigueur le 22 avril 1954, la Convention de Genève s’inscrit dans le contexte international né des atrocités de la Seconde Guerre mondiale. S’intégrant dans le mouvement de reconnaissance des droits et libertés fondamentales de la personne, le Préambule de la Convention précise que le problème des réfugiés revêt un caractère social et humanitaire de dimension internationale qui doit être résolu par la reconnaissance d’une protection effective des réfugiés et la solidarité de l’ensemble des Etats. Ce principe fondateur, plus de soixante ans après sa signature, demeure plus que jamais d’actualité et fonde encore aujourd’hui la validité permanente de cette Convention.
Tout d’abord, la Convention de Genève relative au statut de réfugié compte parmi les conventions internationales les plus ratifiées à l’échelle mondiale. 147 pays l’ont ratifiée ; seuls quelques Etats arabes y restent réticents. Ce texte est donc quasi universel. De plus, elle est la première et la seule convention internationale à consacrer une définition générale et synthétique du réfugié, par opposition aux accords européens de l’entre-deux-guerres. Et elle est aussi celle qui garantit la protection la plus complète aux réfugiés (I).
Toutefois, des voix se sont élevées et s’élèvent encore pour dénoncer le caractère dépassé de la Convention ou, à tout le moins, questionnent sa validité actuelle. Instrument de la Guerre froide, elle ne serait plus adaptée pour répondre aux problèmes des migrations actuelles. En effet, depuis 1951, les facteurs de migration ont profondément été renouvelés et le contexte politique et légal dans lequel celle-ci s’applique a aussi beaucoup évolué. Non seulement la définition qu’elle consacre se trouve de plus en plus concurrencée, mais elle s’applique dans un contexte de blocage des frontières et de suspicion grandissant à l’égard des demandeurs d’asile (II).
Malgré ces critiques, la Convention de Genève n’a jamais été directement remise en cause. Au contraire, de par sa souplesse, elle a montré ses capacités d’adaptation. C’est pourquoi elle est encore aujourd’hui considérée comme la pierre angulaire du droit international des réfugiés.

I – Une définition générale et universelle du réfugié pour une protection globale

La convention de Genève se singularise par la définition synthétique et générale du réfugié qu’elle consacre (A) et l’ensemble des droits qu’elle garantit (B).

A/ La consécration d’une définition générale, abstraite et universelle du réfugié

Si depuis la nuit des temps, des hommes et des femmes fuient leur pays pour se réfugier sur des terres plus accueillantes, c’est à partir de la Première Guerre mondiale que les Etats doivent faire face à une migration de masse et que naît le droit international des réfugiés (1°). Et il faudra attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec la signature de la Convention de Genève en 1951 puis l’adoption du Protocole de New-York en 1967, pour qu’une définition générale et universaliste du réfugié soit définitivement consacrée (2°).

1° Le développement d’une approche empirique et catégorielle du réfugié pendant l’entre-deux-guerres

La Première Guerre mondiale marque une rupture politique et juridique dans l’histoire de la migration forcée : d’individuelle et volontaire, voire exceptionnelle, la migration forcée devient massive, involontaire et continue. Les Etats européens sont donc contraints de rechercher des solutions juridiques internationales nouvelles aux problèmes soulevés par cette émigration politique massive. Si ces solutions marquent le point de départ donné au développement d’un véritable corpus de normes internationales dédiées à la définition du réfugié et à l’établissement de règles de protection, les approches retenues sont encore très différentes de celle de la Convention de Genève de 1951. Les perspectives adoptées sont globalement contingentes et empiriques. Les Etats multiplient ainsi les accords internationaux par réaction aux différentes vagues d’exilés qui se succèdent pendant la période de l’entre-deux-guerres. Les définitions retenues pour qualifier le réfugié sont donc collectives et catégorielles. Elles procèdent par énumération des groupes de personnes pouvant être définis comme réfugiés, en raison de leur nationalité ou de leur origine géographique commune, et parce que ses membres sont, à un moment donné,  massivement contraints à l’exil. Tel était par exemple le cas des réfugiés russes et arméniens.

2° La Convention de 1951 : une définition synthétique, générale et individualiste du réfugié

A l’inverse de la logique prédominante pendant l’entre-deux-guerres, la Convention de Genève consacre pour la première fois en droit international, et au terme d’âpres débats, une définition synthétique, abstraite et individualiste du réfugié. En effet, lors de la conférence des Plénipotentiaires, la question de la méthode à suivre pour définir le réfugié a opposé les tenants d’une définition générale et synthétique à ceux qui souhaitaient procéder comme par le passé en élaborant une définition par catégorie. Ainsi, les Etats-Unis étaient préoccupés par le nombre potentiel d’individus qui pourrait bénéficier du statut de réfugié si une telle définition était retenue et exprimaient donc leur volonté de procéder comme par le passé, en élaborant une définition par catégorie de réfugiés. Pourtant, c’est bien une définition synthétique, abstraite et individualiste qui sera adoptée au terme de la conférence des Plénipotentiaires.
La définition conventionnelle du réfugié est synthétique (ou générale) car elle vise « toute personne » satisfaisant aux critères dit d’éligibilité que l’article 1A consacre, indépendamment de l’appartenance de l’individu à un groupe objectivement et préalablement visé comme bénéficiaire de la qualité de réfugié.
De ce caractère général, elle devient nécessairement abstraite car elle vise un ensemble virtuel de personnes. En 1951, cette logique virtuelle rencontre toutefois des restrictions puisque les Etats ont voté l’introduction de deux limites temporelles et spatiales. La qualité conventionnelle de réfugié était alors limitée aux personnes dont les craintes d’être persécutées étaient liées aux événements politiques survenus avant 1951 sur le sol européen. Soucieux de ne pas signer un « chèque en blanc » pour le futur, ces deux limites ratione temporis et loci avaient pour objectif de circonscrire le champ d’application potentiellement large de la nouvelle définition générale du réfugié. Finalement, le 31 janvier 1967, le Protocole de New-York1 supprime les limites géographiques et temporelles de la définition de 1951 et son champ d’application devient donc définitivement universel.
Enfin, la définition du réfugié retenue est résolument individuelle. En effet, elle procède par énumération exhaustive de motifs qui doivent valablement et subjectivement contraindre l’individu à ne pas se prévaloir de la protection de son pays d’origine ou de résidence. Les menaces auxquelles l’individu doit être confronté ne peuvent être exclusivement liées à une situation objective et générale d’insécurité prévalant dans son pays d’origine ou de résidence, mais doivent le cibler personnellement. (article 1A)
Si la Convention de Genève codifie une définition universelle et abstraite du réfugié, son champ d’application ratione personae n’est pas sans limite. Outre les critères d’éligibilité qu’elle fixe à l’article 1A, les autres sections de ce même article fixe des clauses d’exclusion et des clauses de cessation. Les Sections D et E exclut de la qualité de réfugié les personnes qui bénéficient déjà d’une autre protection, soit parce qu’elles bénéficient déjà de l’assistance des Nations Unies (UNRWA), soit parce qu’elles ont fui dans un Etat tiers et bénéficient déjà des droits et obligations attachés à la possession de la nationalité de cet Etat. La section F exclut de la qualité de réfugié les personnes dont le comportement est indigne de la qualité de réfugié parce qu’elles ont commis des crimes graves, dont des actes de persécution à l’origine de la fuite des réfugiés. Enfin, la section C fixe les critères pour lesquels la protection de la Convention cessera d’être applicable aux réfugiés statutaires.
L’article 1 et l’ensemble de ses sous-sections font partie de l’une des dispositions clés de la Convention de Genève ; ils codifient de manière universelle et contraignante qui, parmi les personnes qui sont contraintes à l’exil, sont éligibles au bénéfice de sa protection.

B/ Les droits liés à la reconnaissance du statut de réfugié

La Convention de Genève consacre l’essentiel de ses articles au statut de réfugié. Elle garantit en effet de manière contraignante la protection la plus complète du réfugié et codifie l’un des principes les plus importants du droit international des réfugiés, celui portant interdiction de renvoyer une personne dans un pays où sa vie ou sa liberté est en danger (principe de non-refoulement) (1°). Toutefois, la Convention de Genève se singularise aussi par son absence d’engagement international quant à l’asile ou de véritable organe supranational chargé de contrôler effectivement l’application de la Convention de Genève (2°).

1° Les droits accordés aux réfugiés statutaires

Durant l’entre-deux-guerres, les multiples statuts élaborés avaient tous pour objectif de répondre aux difficultés juridiques complexes dans lesquelles se trouvaient les exilés du fait de leur apatridie. C’est pourquoi ces accords avaient pour objectif premier de délivrer des certificats d’identité (dont le passeport Nansen) duquel découlait la reconnaissance de certains droits civils et surtout économiques. Mais la principale faiblesse des accords de l’époque résidait dans leur absence de caractère contraignant ou, quand il s’agissait de traités internationaux, par le fait qu’ils n’étaient pas ratifiés.
Avec la Convention de Genève, est pour la première fois codifié de manière contraignante tout un ensemble de droits composant le statut de réfugié. Après avoir rappelé les obligations générales des réfugiés à l’égard du pays qui les accueille (article 2), la Convention garantit des droits politiques, économiques et sociaux aux réfugiés dans ses articles 3 à 32. S’inspirant du droit international des droits de l’homme, la Convention de Genève reconnaît plusieurs libertés fondamentales, telle que la liberté de religion (article 4), la liberté de circulation (article 26), le droit d’obtenir une pièce d’identité et des titres de voyage (article 27 et 28), et le droit d’ester en justice (article 16). Elle reconnaît aussi des droits économiques et sociaux tel que le droit au travail (article 17 – 18 – 19). Surtout, la Convention garantit que ses dispositions s’appliqueront sans discrimination aucune quant à la race, la religion ou le pays d’origine entre les réfugiés (article 3). Autrement dit, toute inégalité de traitement entre les réfugiés est prohibée. Toutefois, des discriminations peuvent être établies entre les réfugiés et les nationaux. En effet, selon les droits et libertés reconnus, la Convention exige des Etats l’application tantôt de la clause de l’assimilation au national (accès à l’éducation primaire : article 22-1 ; application de la législation du travail et de la sécurité sociale : article 23 ; assistance publique : article 24) tantôt la clause de la nation la plus favorisée (accès au logement : article 21 ; la liberté d’association (article 15).
Ensuite, la Convention de Genève a codifié trois des droits les plus fondamentaux pour la protection des réfugiés. Il s’agit du principe de non-refoulement, le principe de l’immunité de sanctions pour les réfugiés en situation irrégulière et le principe de l’interdiction d’expulser les réfugiés statutaires. Le principe de non refoulement, codifié à l’article 33 de la Convention, interdit aux Etats de renvoyer toute personne où sa vie ou sa liberté sont menacée. Inscrits dans les conventions de l’entre-deux-guerres, c’est en 1951 que ce principe se voit reconnaître une réelle force normative et contraignante puisqu’il ne peut faire l’objet d’aucune dérogation ou réserve. Ultime rempart contre les persécutions, il a depuis acquis la valeur de règle coutumière. Le principe d’immunité de sanctions, codifié à l’article 31 de la Convention, interdit aux Etats de sanctionner pénalement les réfugiés parce qu’ils sont présents irrégulièrement ou sont entrés irrégulièrement sur le territoire national d’un Etat contractant. Cette immunité est essentielle et trouve un écho particulier aujourd’hui dans la mesure où elle reconnaît que l’entrée de personnes fuyant des persécutions ne doit pas être considérée comme un acte illégal. Enfin, l’article 32 de la Convention de Genève soumet à des conditions restrictives et des garanties procédurales l’expulsion des réfugiés se trouvant régulièrement sur le territoire d’un Etat contractant.
Au final, si la Convention de Genève ne peut être assimilée à une véritable « déclaration des droits du réfugié » applicable de manière contraignante et uniformément dans tous les Etats contractants puisque le contenu et l’étendue de la protection accordée restent de la compétence nationale, elle fixe cependant les principes essentiels qui constituent le noyau dur de la protection des réfugiés.

2° Les faiblesses de la Convention de Genève

Deux points peuvent être identifiés comme les faiblesses de la Convention de Genève. Il s’agit tout d’abord de l’absence de référence de droit au séjour des réfugiés et l’absence de protection juridictionnelle de sa mise en œuvre.
Tout d’abord, la Convention de Genève ne fait mention à aucun moment d’un droit à l’asile des réfugiés. Le statut de réfugié n’ouvre donc pas de droit à l’asile, c’est-à-dire de droit au séjour auprès de l’Etat qui l’a reconnu. Asile et réfugié restent au contraire deux notions distinctes. Si la notion d’asile désigne la protection offerte dans un espace déterminé, celle de réfugié désigne une personne. Autrement dit, l’octroi d’un asile reste une compétence discrétionnaire et nationale des Etats qui, à ce sujet, ont montré avec constance leur souci de sauvegarder leur souveraineté territoriale. En 1977, lors de la Conférence sur l’asile territorial2, les Etats ont ainsi clairement réitéré leur refus de reconnaître un droit international à l’asile pour les personnes reconnues réfugiés. Toutefois, si les notions d’asile et de réfugiés demeurent distinctes, l’asile reste la finalité de la qualité de réfugié. Ainsi, tous les Etats occidentaux reconnaissent aujourd’hui, sans qu’ils y soient contraints, un droit de séjour permanent aux réfugiés. Ce point est désormais crucial puisque la création de systèmes complémentaires de protection, telle que la mise en place de la protection subsidiaire au sein de l’Union européenne, a certes pour objet d’étendre la définition du réfugié, mais a aussi pour conséquence de limiter le droit au séjour de ses bénéficiaires.
La seconde lacune de la Convention de Genève porte sur le fait que son application reste une compétence nationale sans aucun organe supranational chargé d’en contrôler légalement et de manière contraignante la régularité. En effet, si la Convention de Genève définit internationalement la qualité de réfugié et les droits y afférent, la détermination de la qualité de réfugié reste de la compétence des Etats. On parle à ce titre d’internationalisation partielle de la question des réfugiés. Or, on aurait pu imaginer un organisme international compétent pour reconnaître la qualité de réfugié, comme c’était le cas pendant l’entre-deux-guerres dans plusieurs Etats européens, dont la France. Mais, à cette époque, des critiques avaient décrié le laxisme des décisions prises et les Etats ont donc exprimé leur volonté de préserver leur compétence. A cette compétence nationale s’ajoute le fait que l’application effective de la Convention par les Etats n’est pas ou peu contrôlée. Si l’article 38 de la Convention précise que tout différend relatif à l’interprétation ou l’application pourra être soumis à la CIJ, aucun Etat ne l’a jamais saisie. Quand au rôle de surveillance reconnu à l’UNHCR à l’article 35 de la Convention, celui-ci ne comprend qu’une obligation de coopération et d’information des Etats et reste donc de portée limitée.

II – L’application de la Convention de Genève : enjeux actuels

Plus de soixante ans après sa signature, les enjeux liés à l’application de la Convention de Genève ont profondément changé. De plus en plus concurrencée par d’autres systèmes de protection au motif qu’elle ne serait plus suffisamment adaptée à la réalité des facteurs migratoires du XXIème siècle (A), elle doit aujourd’hui s’appliquer dans un contexte politique et juridique de blocage des frontières et de suspicion généralisée à l’égard de tous les migrants (B).

A/ Un statut de plus en plus concurrencé

Depuis 1951, plusieurs conventions régionales sont venues concurrencer le statut de réfugié. Si toutes ces conventions rappellent la valeur centrale de la qualité conventionnelle de réfugié et des droits y afférent, ces dernières n’en ont pas moins consacré d’autres définitions légales du réfugié dont le champ d’application ratione personae se veut complémentaire de celui de la définition conventionnelle.

1° La Convention de l’OUA

Dès 1969, la Convention de l’organisation de l’Unité africaine (OUA) régissant les difficultés spécifiques soulevées par les réfugiés en Afrique consacre une définition plus large du réfugié que celle de 19513. En effet, après avoir repris à son article 1.1 la définition consacrée à l’article 1 de la Convention de Genève, l’article 1.2  l’étend à la personne qui «  du fait d’une agression, d’une occupation extérieure, d’une domination étrangère ou d’événements troublant gravement l’ordre public dans une partie ou dans la totalité de son pays d’origine ou du pays dont elle a la nationalité, est obligée de quitter sa résidence habituelle pour chercher refuge dans un autre endroit à l’extérieur de son pays d’origine ou du pays dont elle a la nationalité ». Ainsi libellée, l’article 1.2 bouleverse la définition du réfugié de 1951 car il n’est fait aucune référence à une crainte fondée et personnelle de persécution, ni aucun motif de persécution. La qualité de réfugié ainsi reconnue est étendue à tous les motifs objectifs de migration forcée liés à l’action de l’homme, c’est-à-dire à la constatation objective que l’une des situations envisagées par l’article 1.2 est remplie. La question de savoir si les personnes visées sont personnellement en danger est sans importance. De même, déterminer si le risque qu’ils encourent est lié à des caractéristiques personnelles, exhaustivement énumérées, n’est pas utile.

2° La Déclaration de Carthagène

En 1984, la Déclaration de Carthagène, sans être contraignante, bouleverse une nouvelle fois la définition de la qualité de réfugié afin de faire face à la situation spécifique des réfugiés en Amérique centrale et latine4. Le réfugié y est défini comme toutes les personnes « qui ont fui leur pays parce que leur vie, leur sécurité ou leur liberté étaient menacées par une violence généralisée, une agression étrangère, des conflits internes, une violation massive des droits de l’homme ou d’autres circonstances ayant perturbé gravement l’ordre public ». La définition consacrée se rapproche de celle de la Convention de l’OUA. Comme cette dernière, le réfugié y est défini comme une personne menacée en raison de multiples violences socio-politiques affectant l’Etat. Le réfugié n’est donc pas défini à partir d’une liste exhaustive de motifs qui l’auraient contraint à s’exiler. Toutefois, contrairement à l’OUA, si les motifs à l’origine de l’exil du réfugié peuvent être indéterminés et exclusivement liés à l’une des situations objectives envisagées, ils doivent mettre personnellement la vie et la liberté des personnes en danger. Fuir un Etat victime de l’une de ces situations ne suffit donc pas pour être reconnu réfugié. Il faut que, en raison de l’existence d’une telle situation, la sécurité de la personne soit personnellement menacée.
Si la consécration de ces deux définitions ont pour but de créer deux systèmes de protection spécifique aux problèmes des réfugiés rencontrés de manière contingente dans deux parties distinctes de la planète, on assiste depuis une vingtaine d’années à la multiplication de systèmes de protection dits complémentaires à la Convention de Genève dans l’ensemble des pays occidentaux. Or, ces statuts, comme celui de la protection subsidiaire dans l’Union européenne, peuvent se placer en concurrence du statut conventionnel de réfugié.

3° La protection subsidiaire dans l’Union européenne

Quelles que soient leurs dénominations, statut B, Stat F, asile territorial ou régularisation humanitaire, de nombreux Etats ont adopté, à l’échelle nationale, de nouvelles formes de protection complémentaire de celle du statut de réfugié. Au sein de l’Union européenne, ces statuts font désormais l’objet d’une législation harmonisée : il s’agit de la protection subsidiaire. Codifiée à l’article 15 par la Directive qualification5, celle-ci a pour but de protéger les personnes qui se trouvent hors de leur pays d’origine et qui ne peuvent pas y retourner parce qu’elles craignent avec raison d’y faire l’objet de l’une des atteintes graves et injustifiées suivantes : «  a. la peine de mort ou des exécutions ; b. la torture ou des traitements inhumains ou dégradants (…); c. des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence lors d’un conflit armé interne ou international ». Comme la définition de 1951, les personnes protégées sont définies par le risque personnel et objectif qu’elles risquent de subir des traitements atteignant une certaine gravité. Dans le premier cas, la protection subsidiaire reprend notamment le protocole n°6 additionnel à la CEDH qui proscrit la peine de mort6 et codifie la jurisprudence de la CourEDH qui étend la responsabilité des Etats aux expulsions d’étrangers pour lesquels il existe de sérieuses raisons de croire qu’ils subiraient la peine de mort. Dans le deuxième cas, la protection subsidiaire reprend l’article 3 de la CEDH et la jurisprudence de la Cour s’y rapportant. Cela signifie qu’un statut protecteur, distinct de celui de la Convention de Genève, a clairement été défini et ouvert aux personnes qui pouvaient se prévaloir de la jurisprudence de la CourEDH contre leur expulsion. Mais le principal intérêt de la protection subsidiaire réside dans deux autres points. Le premier porte sur la reconnaissance explicite que les risques encourus liés à un contexte de conflit armé peuvent justifier l’octroi d’un statut de protection ; le second dans la suppression des motifs devant être à l’origine des menaces de persécution. Ainsi libellée, la codification de la protection subsidiaire a donc bien pour but de compléter et d’élargir le champ d’application de la définition conventionnelle du réfugié. Toutefois, les bénéficiaires de ce système de protection complémentaire ne peuvent bénéficier de droits entièrement identiques. Concernant par exemple le droit au séjour, l’article 24 de la Directive exige l’octroi d’un titre de séjour d’au moins trois ans renouvelable aux bénéficiaires du statut de réfugié, tandis que ceux bénéficiaires du statut de protection subsidiaire ne peuvent se voir reconnaître qu’un droit de séjour d’un an minimum, renouvelable une fois. Tout l’enjeu réside donc dans l’articulation des deux champs d’application ratione personae de la protection conventionnelle et de la protection subsidiaire. Si l’article 10-2 de la Directive Procédure7 exige des autorités qu’elles déterminent d’abord si le demandeur est éligible au statut de réfugié avant celui de la protection subsidiaire, plus le champ d’application de la protection subsidiaire est élargi, puis celui de la protection conventionnelle risque de faire l’objet d’une interprétation restrictive. Or, ce risque ne doit pas être minimisé puisque la Convention de Genève s’applique désormais dans un contexte de flux migratoire massif et de plus en plus instable, mais également dans un contexte politique et juridique de blocage des frontières dans lequel le réfugié n’est plus le bienvenu.

B/ Migration massive et blocage des frontières

Le contexte dans lequel la Convention de Genève s’applique a profondément évolué depuis 1951. Non seulement les facteurs et les modes du déplacement forcé ont été profondément renouvelés, mais elle s’applique désormais dans un climat de suspicion à l’égard de toutes les personnes qui sollicitent le bénéfice d’une protection internationale.

1° Le bouleversement des facteurs de migrations forcées

En effet, la Convention de Genève reflète la préoccupation des Etats parties de trouver une solution aux problèmes créés par l’arrivée de réfugiés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Or, à cette époque, les individus contraints de s’exiler étaient les victimes du nazisme et de l’oppression communiste. C’est le modèle de la persécution des juifs par l’Etat nazi, puis celui de la persécution politique exercée par les Etats totalitaires qui ont guidé l’élaboration de la définition du réfugié. Les facteurs de la migration forcée étaient donc  principalement liés à des considérations individuelles de politique étatique et touchaient principalement les hommes. Or, depuis la fin de la Guerre froide, les facteurs du déplacement sont désormais collectifs et massifs, et ils sont de plus en plus liés à des motifs complexes, multidimensionnels et interdépendants. Ils incluent des motifs liés aux conflits armés et aux violations massives des droits de l’homme, notamment dans le cadre d’Etats de plus en plus déstructurés, à des facteurs liés plus économiques et sociaux. L’exemple de la crise migratoire que traverse l’Union européenne, et de l’exil massif des syriens, en est un des exemples les plus frappants. Par ailleurs, la migration massive touche de plus en plus les femmes et les enfants. Dans ce contexte, identifier les motifs de l’exil et déterminer dans quelle mesure les personnes sont personnellement ciblées par des menaces de persécution devient un exercice de plus en plus complexe. Or, c’est bien de cette évaluation que dépend l’application effective de la Convention de Genève puisque la reconnaissance de la qualité de réfugié se fonde sur une liste de motifs devant personnellement menacer le demandeur d’asile.

2° « De l’hospitalité aux contrôles migratoires8 »

Si l’accueil des réfugiés avait une « valeur idéologique » en 1951, on peut tout simplement affirmer aujourd’hui que « le réfugié n’est plus le bienvenu » en 2016. Considérés comme des combattants de la liberté, ayant risqué leur vie pour défendre les valeurs de la démocratie, les demandeurs d’asile sont désormais noyés dans le flot des migrants et systématiquement suspectés d’être des « faux-réfugiés » ou des « profiteurs » cherchant à détourner les lois restrictives de l’immigration. C’est ainsi que tous les discours et toutes les politiques publiques tournent autour de la problématique de la sécurisation des frontières et de la sélection des seuls « vrais » réfugiés. Les stratégies développées sont nombreuses : sanction des transporteurs, systématisation de l’exigence de visa de séjour et parfois de visas de transit, accélération des procédures de traitement des demandes d’asile, développement des listes de pays d’origine et tiers sûrs, renforcement du contrôle des frontières avec parfois délocalisation des procédures des demandes d’asile. Aujourd’hui encore, confrontée à une crise migratoire sans précédent dans l’histoire de l’Union européenne9, c’est sur le renforcement d’un arsenal juridique portant sur le contrôle et la surveillance des frontières que se concentrent les mesures adoptées à l’échelle communautaire. Dans ce contexte, le principal enjeu de la Convention de Genève porte donc la question de l’accès à la protection qu’elle reconnaît.

Conclusion :

En dépit d’un contexte migratoire complexe et politique défavorable, la Convention de Genève reste encore aujourd’hui l’instrument juridique de protection le plus pertinent pour toutes les personnes contraintes de s’exiler. La définition du réfugié qu’elle consacre à l’article 1 reste, grâce à la flexibilité des notions qu’elle retient, adaptée pour répondre aux besoins des personnes victimes de la migration forcée. Et le statut de réfugié qu’elle codifie reste le plus complet et protecteur à ce jour. D’ailleurs, aucun des Etats n’est prêt aujourd’hui à rouvrir des négociations, ce qui comporterait finalement le risque qu’un front anti-réfugié ne se développe et ne dépèce le texte.

 

1 Protocole relatif au statut des réfugiés, New-York, 31 janvier 1967, recueil des Traités, Nations unies, vol. 606, p. 267.

2 Déclaration sur l’asile territorial, 14 décembre 1967, Résolution 2312 de l’Assemblée générale des Nations unies.

3 Convention de l’Organisation de l’OUA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique, 10 septembre 1969, Recueil des Traités, Nations unies, vol. 1001.

4 Déclaration de Carthagène sur les réfugiés, adoptée lors du Colloque sur la protection internationale des réfugiés en Amérique centrale, au Mexique et au Panama, 22 novembre 1984.

5 Directive 2011/95/UE du Parlement et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts, JO L 304 du 30 septembre 2004, p. 12-23.

6 Protocole n°6 à la CEDH concernant l’abolition de la peine de mort, entrée en vigueur le 1er mars 1985.

7 Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatives à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, JO L180 du 29 juin 2013, p. 60-95.

8 CREPEAU Fr., « Droit d’asile : de l’hospitalité au contrôle migratoire », Bruxelles, Bruylant, 1995

9 TISSIER M., « Crise européenne de l’asile : l’Europe n’est pas à la hauteur de ses ambitions », La Revue des Droits de l’Homme, 2015, n°8, disponible sur www.revdh.revues.org